De nombreuses administrations d’assurance sociale contre les accidents ont déjà mis en œuvre avec succès la stratégie Vision Zero et peuvent mettre en avant des résultats positifs tels que la diminution du nombre d’accidents du travail et des maladies professionnelles au niveau national, régional ou sectoriel. L’impact positif de cette stratégie ne concerne pas seulement les institutions de sécurité sociale, mais aussi les entreprises qui ont appliqué les sept règles d’or de la stratégie Vision Zero pour un travail sain et sans accidents (AISS, 2017) pour promouvoir la sécurité, la santé et le bien-être au travail (Graphique 1). De plus, la communauté internationale a reconnu l’importance de Vision Zero à de nombreuses occasions, notamment lors du Congrès mondial sur la sécurité et la santé au travail.

Graphique 1. Les 7 règles d’or de Vision Zero

1. Faire preuve de leadership – montrer son engagement
2. Identifier les dangers – évaluer les risques
3. Définir les objectifs – élaborer des programmes
4. Garantir un système sûr et sain – être organisé
5. Assurer la sécurité et la santé sur les machines, les équipements et les lieux de travail
6. Améliorer les qualifications – développer les compétences
7. Investir dans la personne – motiver par la participation

L’expérience des institutions membres de l’AISS en Europe

Au fur et à mesure que la demande de systèmes de prévention solides grandit, les commissions d’indemnisation des accidents du travail et les institutions de santé et de sécurité au travail ont commencé à mettre en œuvre la stratégie Vision Zero ou intégré les principes de Vision Zero à leurs démarches de prévention existantes. L'AISS a accompagné la transition de ses membres vers ces nouvelles pratiques sous diverses formes. Les Lignes directrices de l’AISS en matière de prévention des risques professionnels (AISS, 2019) proposent une feuille de route pour mettre en place un service de prévention opérationnel et engagé au sein des assurances contre les accidents du travail. Une fois le mandat de ce service clairement défini, les activités de prévention doivent apporter un soutien aux entreprises assurées par le biais de services spécifiques tels que des visites de sites, des consultations techniques, une aide médicale, un soutien stratégique et des campagnes d’information.

L’AISS, ses institutions membres, la Commission spéciale de prévention et les Comités internationaux de l’AISS pour la prévention ont organisé de nombreux événements Vision Zero et de prévention, notamment des webinaires, des Journées Vision Zero, des Sommets Vision Zero, une séance spéciale lors du Forum mondial de la sécurité sociale 2022 au Maroc, plusieurs séances lors du Congrès mondial sur la sécurité et la santé au travail 2023 en Australie et une séance spéciale lors du Forum régional de la sécurité sociale pour l’Europe 2024 au Portugal qui portait sur les bonnes pratiques.

Des réseaux régionaux et des thèmes mensuels (FIOH, Finlande) 

L’Institut finlandais de santé au travail (Finnish Institute for Occupational Health – FIOH) a mis en place un Forum Vision Zero (Institut finlandais de santé au travail, 2024a et 2024b). Ce Forum est composé de réseaux régionaux de prévention et permet de faciliter la participation à des événements nationaux malgré les distances et les contraintes financières. Ces réseaux ont pour objectif de favoriser la collaboration et les échanges de connaissances entre leurs membres au niveau régional. Des réunions sont organisées tous les six mois, et incluent des visites sur des lieux de travail pour échanger des réflexions sur les pratiques en matière de sécurité, de santé et de bien-être au travail, tout en créant des liens entre les organisations.

Les objectifs principaux de cette initiative étaient de décentraliser les activités, de faciliter une collaboration plus étroite entre les lieux de travail locaux et de créer une plateforme de partage des bonnes pratiques. En créant des réseaux régionaux, le Forum avait pour but de rendre la participation plus accessible et de renforcer la coopération entre les membres des réseaux. Cette démarche respecte les Lignes directrices de l’AISS en matière de prévention des risques professionnels, dans lesquelles est soulignée l’importance d’adapter les stratégies aux contextes locaux. L’objectif était de créer un réseau dans chacune des 17 régions du pays et dans l’aire urbaine d’Helsinki en l’espace de 2 à 3 ans, et cet objectif a été atteint en 2023 malgré les difficultés causées par la pandémie de COVID-19.

L’évaluation de l’initiative permet de constater que les résultats sont positifs. Parmi les avantages de ces réseaux, les membres citent les opportunités de réseautage, les visites de site et les échanges de connaissances. La création des réseaux régionaux a permis de faciliter la communication et le partage de bonnes pratiques parmi les membres du Forum Vision Zero, de manière formelle lors de réunions officielles, mais aussi lors d’événements informels.

Les trois facteurs indispensables à prendre en compte pour reproduire cette bonne pratique sont les suivants:

1. Une approche basée sur les besoins: les activités régionales doivent répondre aux besoins spécifiques des lieux de travail qui y participent pour garantir leur pertinence et l’implication des participants.
2. Une coordination au niveau du Forum: pour maintenir les réseaux, il faut assurer une coordination continue et apporter un soutien pour organiser les réunions et fournir des conseils sur les sujets de discussion.
3. La volonté de partager: les participants doivent avoir envie de partager leurs bonnes pratiques et être ouverts à de nouvelles idées venant d’autres lieux de travail, car la collaboration est fondamentale dans le cadre d’une démarche Vision Zero.

Cependant, il faut aussi compter parmi les risques possibles l’émergence d’une concurrence entre les entreprises, qui peut avoir un impact sur la transparence et limiter le partage des bonnes pratiques. Pour limiter ce risque, il est nécessaire de promouvoir une culture de la coopération et de mettre en avant les bénéfices collectifs de l’échange de connaissances pour tous les membres du réseau.

Le Forum Vision Zero finlandais fournit à ses membres des opportunités de réseautage et l’accès à des connaissances à jour sur la sécurité, la santé et le bien-être au travail. Ces données sont utilisées par les lieux de travail dans leur communication sur la sécurité au travail et pour donner de la visibilité aux questions de sécurité sur le lieu de travail. Le thème mensuel est un des contenus du Forum Vision Zero les plus utilisés.

La Finlande a constaté une diminution des accidents du travail dans les entreprises qui participent activement au Forum Vision Zero ainsi qu’une meilleure performance en matière de prévention par rapport à d’autres entreprises (Graphique 2). 

Graphique 2. Taux d’accidents moyen – Entreprises membres du Forum Vision Zero par rapport à toutes les entreprises de Finlande

La prévention des accidents graves et mortels (BGHW, Allemagne)

L’Assurance sociale allemande d’assurance contre les accidents dans le secteur du commerce et de la logistique (Berufsgenossenschaft Handel und Warenlogistik – BGHW) a mis en œuvre des mesures de prévention alignées sur les sept règles d’or de Vision Zero, afin de réduire le nombre d’accidents graves et mortels dans son secteur d’activité (Assurance sociale allemande d’assurance contre les accidents dans le secteur du commerce et de la logistique, 2024a). La BGHW a reconnu qu’il était nécessaire d’identifier les dangers avec un haut risque de blessures graves ou mortelles le plus tôt possible et a réalisé une analyse approfondie des accidents graves et mortels sur plusieurs années. Cela lui a permis d’identifier les situations récurrentes et les mesures potentielles de prévention.

Les objectifs principaux étaient de collecter des données complètes sur les accidents, d’en déduire des mesures de prévention et de créer des outils pratiques pour les inspecteurs du travail, les entreprises et les salariés. Ces efforts ont débouché sur la publication de deux guides Vision Zero in Trade and Goods Logistics (Vision Zero dans le commerce et la logistique des marchandises) (AISS, 2023a and 2023b). La première partie est une analyse des accidents du travail graves et mortels et la deuxième partie est un guide pratique pour prévenir ce type d’accidents (ces guides sont disponibles uniquement en anglais).

De plus, de nombreux canaux de communication ont été utilisés, notamment un nouveau site Web, des publications, des outils de participation interactive et des campagnes sur les réseaux sociaux ciblant les salariés les plus jeunes.

Bien que le nombre d’accidents graves et mortels ait diminué depuis le début de l’étude, il est encore trop tôt pour évaluer l’impact total de ces activités. Cependant, on peut dire qu’il y a eu une modification du style de communication avec des contenus qui portent désormais davantage sur la prévention et mettent l’accent sur le dialogue avec les parties prenantes.

La stratégie de prévention du Pendjab (DGUV, Allemagne)

L’Assurance sociale allemande des accidents du travail et maladies professionnelles (Deutsche Gesetzliche Unfallversicherung – DGUV) a collaboré avec le ministère du Travail et des Ressources humaines (Labour and Human Resource Department – LHRD) du Gouvernement du Pendjab, au Pakistan, et l’Agence allemande de coopération internationale (Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit – GIZ), pour établir une stratégie de culture de la prévention au Pendjab. La stratégie de prévention du Pendjab sur la sécurité, la santé et le bien-être sur le lieu de travail (Assurance sociale allemande des accidents du travail et maladies professionnelles, 2024b) est une initiative exhaustive fondée sur les principes de la stratégie Vision Zero.

Cette stratégie porte sur le défi que représentent les accidents du travail et les maladies professionnelles et a pour objectif de réduire le nombre d’accidents et de décès sur les lieux de travail, de limiter l’exposition à des substances dangereuses, de garantir le respect de la législation portant sur la sécurité et la santé au travail et de renforcer les compétences et les connaissances sur ces questions parmi les parties prenantes. Les éléments clés de cette stratégie incluent la promotion d’un état d’esprit Vision Zero, le développement d’une compréhension commune de ce que sont la sécurité, la santé et le bien-être au travail et le fait de faire du Pendjab un modèle en matière de coopération et d’amélioration des conditions de travail. Les objectifs ont été définis dans un plan d’action sur 10 ans et comprennent la diminution du nombre d’accidents du travail et de décès de 75 pour cent et la réduction de l’exposition à des substances dangereuses (Graphique 3).

Graphique 3. Le plan d’action Vision Zero sur dix ans du Pendjab

La stratégie porte aussi sur le renforcement des compétences, l’augmentation du nombre d’entreprises qui adoptent Vision Zero et la création de centres de sécurité et de santé au travail, tels qu’une Académie de la sécurité et de la santé au travail et un laboratoire de test pour les équipements de protection individuelle (EPI).

L’impact de la stratégie n’a pas encore été évalué dans sa totalité, mais les enseignements tirés soulignent l’importance de l’implication des parties prenantes, du développement d’une stratégie conjointe et de l’adaptation de l’approche aux différents contextes locaux pour que la mise en œuvre de la stratégie du ministère du Travail et des Ressources humaines du Gouvernement du Pendjab soit un succès. Fin 2023, le gouvernement avait réussi à toucher plus de 94 millions de personnes grâce à une campagne médiatique ciblée qui a permis de sensibiliser à la stratégie Vision Zero et d’en faire la promotion (Graphique 4).

Graphique 4. La stratégie 2023 du Pendjab

La stratégie nationale Vision Zero du Luxembourg (AAA, Luxembourg)

Le Luxembourg a lancé sa stratégie nationale Vision Zero en 2016 (Association luxembourgeoise des organismes de sécurité sociale, 2024). Elle a été initiée par l’Association d’Assurance Accident (AAA) en collaboration avec l’Union des Entreprises Luxembourgeoises (UEL) et l’Institut National pour le Développement durable et la Responsabilité sociale des entreprises (INDR).

L’objectif de cette stratégie est de réduire le nombre d’accidents du travail et de trajet, ainsi que les cas de maladies professionnelles grâce à des campagnes cross-média, des incitations pour les entreprises et des mesures de sensibilisation dans le cadre d’une approche commune et inclusive: Vision Zero.

Les principales réalisations de cette stratégie incluent le lancement d’un portail Web trilingue (visionzero.lu) et d’un système pour inciter les entreprises à investir dans la prévention des accidents. La stratégie comprend aussi l’organisation d’un Forum chaque année et d’un Prix tous les deux ans, des activités de sensibilisation dans les médias et des actions spécifiques ciblant les secteurs les plus à risque.

Malgré les difficultés liées à la pandémie de COVID-19, cette stratégie a montré des résultats prometteurs, avec une réduction de 15 pour cent du taux de fréquence des accidents du travail en 2019. En 2022, la fréquence de tous les accidents à l’échelle nationale a diminué de manière significative, et l’objectif d’une réduction de 20 pour cent a été dépassé (Graphique 5).

Graphique 5. Vision Zero au Luxembourg

Parmi les enseignements tirés de la mise en œuvre de cette stratégie, il faut souligner l’importance des campagnes médiatiques, des outils de prévention tels que les sept règles d’or de Vision Zero, et du soutien et des conseils fournis en continu aux entreprises pour promouvoir une culture de la prévention. Cependant, les risques liés à une exposition médiatique inadaptée et à l’absence d’un soutien continu aux entreprises pourraient entraver la poursuite de ce programme.

Un Concours de courts-métrages destiné aux jeunes (KRUS, Pologne)

La Caisse d’assurance sociale agricole polonaise (Kasa Rolniczego Ubezpieczenia Społecznego – KRUZ) a organisé un Concours de courts-métrages pour promouvoir l’éducation à la sécurité auprès des jeunes dans l’agriculture, en intégrant les principes de Vision Zero dans des récits créatifs (Caisse d’assurance sociale agricole, 2024). Le Concours de courts-métrages Ma Vision Zero destiné aux jeunes s’adressait à des jeunes gens de 13 à 21 ans et il leur était demandé de créer des courts-métrages pour promouvoir des pratiques de sécurité au travail dans les fermes en utilisant la stratégie Vision Zero et les sept règles d’or.

L’objectif du concours était de présenter la sécurité au travail et l’éducation à la santé comme intéressantes et modernes, de promouvoir différents éléments de Vision Zero et d’encourager les jeunes à se former de façon proactive à la sécurité et la santé au travail dans l’agriculture. L’aspect innovant venait du recours au format d’un concours cinématographique, qui mettait les participants au défi de développer leurs compétences techniques en matière de cinéma tout en incluant les principes de Vision Zero dans leur processus créatif.

L’objectif était de toucher un large public de jeunes et de recevoir au moins 20 films chaque année. L’évaluation réalisée après chaque concours a invariablement montré que ces objectifs étaient atteints, le nombre de films soumis atteignant ou dépassant le nombre attendu chaque année. Les films qui reflétaient le mieux les principes de Vision Zero ont été récompensés.

Au-delà de la compétition, la KRUS a organisé un large éventail d’activités de prévention depuis 2019, qui étaient toutes basées sur Vision Zero. Cela a produit des résultats tangibles et le nombre d’accidents du travail dans le secteur de l’agriculture a diminué de 15 pour cent (Graphique 6).

Graphique 6. Activités de prévention Vision Zero dans le secteur de l’agriculture en Pologne     
 

L’évaluation des risques dans les économies émergentes (IOSH, Royaume-Uni)

Au Royaume-Uni, l’Institution de la sécurité et de la santé au travail (Institution of Occupational Safety and Health – IOSH) s’est penchée sur les préjudices chroniques subis sur les lieux de travail dans les économies émergentes, avec une attention particulière portée aux groupes vulnérables tels que les productrices de beurre de karité, les tisserandes du nord du Ghana, les poissonnières du lac Victoria et les veuves des ouvriers de carrière de l’est du Kenya (Institution de la sécurité et de la santé au travail, 2024). Les principales difficultés rencontrées dans ces différents contextes viennent des conditions de travail très dures, qui engendrent des problèmes sociétaux comme la malnutrition, le travail des enfants et l’exploitation sexuelle, qui nécessitent tous une intervention urgente.

La stratégie de réduction des impacts négatifs sur ces travailleuses repose sur la création de documentaires pour présenter les évaluations des risques et les interventions locales menées par les membres et les partenaires de l’IOSH. Ces documentaires ont pour objectif de sensibiliser le public international aux conditions de travail inconcevables auxquelles sont confrontés ces groupes vulnérables et à mettre en lumière les résultats des efforts collaboratifs réalisés pour améliorer leur vie professionnelle. Le caractère innovant de l’initiative vient de l’utilisation du récit à travers des documentaires pour impliquer les parties prenantes et susciter de véritables changements.

Les objectifs quantitatifs et qualitatifs comprennent la diffusion des documentaires à l’échelle mondiale, le suivi de la réussite de l’initiative et la création de mécanismes réels pour soutenir les travailleuses vulnérables.

Un programme pour prévenir les risques chimiques professionnels (CNAM, France)

La Caisse nationale de l’assurance maladie française (CNAM) a développé un programme intitulé «Risques chimiques Pros» pour traiter le problème très fréquent des risques chimiques sur le lieu de travail (Caisse nationale de l’assurance maladie, 2024a). Les risques chimiques représentent la deuxième plus grande cause de maladies professionnelles en France. Elles sont liées à l’exposition à des produits chimiques dangereux, notamment des agents cancérigènes, qui sont présents dans les secteurs les plus divers. Le programme est mis en œuvre via un parcours en ligne de quatre étapes, qui permet aux entreprises d’évaluer les risques, de planifier et de suivre les actions engagées pour réduire l’exposition des salariés aux produits chimiques et d’en limiter les conséquences, en particulier dans des secteurs les plus concernés comme la réparation automobile, la construction et les soins.

L’objectif principal du programme est d’éliminer ou de minimiser l’exposition des salariés aux risques chimiques et d’aider les entreprises à mettre en place une prévention quotidienne de ces risques. La réussite du programme repose sur plusieurs facteurs, dont la sélection ciblée des entreprises, un site Web facile à utiliser et une communication efficace entre les entreprises et les caisses régionales d’assurance maladie.

L’évaluation de l’impact du programme a mis en évidence des progrès significatifs, avec plus de 90 pour cent des entreprises ciblées qui ont choisi de participer au programme et plus de 75 pour cent qui ont établi un plan d’action. Les retours des entreprises qui ont participé à l’enquête montrent un haut niveau de satisfaction et la majorité d’entre elles estiment que cela les a motivées à agir sur la question de la prévention des risques et observent une réduction de l’exposition des salariés aux produits chimiques. Les risques potentiels au cours de la mise en œuvre du programme peuvent inclure des difficultés à toucher les petites entreprises, à garantir le respect des mesures de prévention et la prise en compte des problèmes propres à chaque secteur.

Pour obtenir le même succès, les versions futures du programme devront chercher à fournir davantage de formations en sécurité et santé au travail, à adapter la démarche à la taille de chaque entreprise et à sa maturité en matière de prévention des risques, à améliorer l’ergonomie du site Web et à cibler davantage les différents secteurs économiques et les différents polluants.

Un programme sectoriel pour le Bâtiment et les Travaux publics (CNAM, France)

En France, la Caisse nationale de l’assurance maladie a aussi lancé un programme sectoriel Bâtiment et Travaux publics qui définit comme prioritaires les interventions précoces et la gestion des risques dans les projets de construction (Caisse nationale de l’assurance maladie, 2024b). Le principal objectif opérationnel est de soutenir et accompagner les maîtres d’ouvrage pour qu’ils puissent inclure des dispositions de prévention dans leurs appels d’offres. Ces dispositions permettent de gérer les risques opérationnels sur les chantiers de façon proactive, car les activités de prévention doivent être déjà décrites dans les réponses aux appels d’offres. Cela signifie aussi qu’un budget dédié à la prévention doit déjà être prévu par les candidats lorsqu’ils présentent leur projet de construction.

Lancé en 2014 et élargi en 2018, ce programme a été développé en deux phases. Initialement, il s’agissait uniquement d’évaluer les pratiques contractuelles des maîtres d’ouvrage en matière de prévention, ce qui a permis de mettre en évidence des lacunes telles que le manque de coordination en matière de sécurité et la fourniture inadaptée des ressources de prévention. À la suite de cette évaluation, des mesures ont été identifiées et diffusées par le biais de guides pratiques adaptés aux différents types de chantiers.

Jusqu’en 2021-2022, le programme a soutenu plus de 81  maîtres d’ouvrage et entreprises sur 1 160 projets de construction, ce qui a permis de réaliser des améliorations significatives en matière de sécurité et de santé au travail. L’obligation de lister des mesures de prévention dans les réponses aux appels d’offres a permis d’améliorer grandement la performance en matière de prévention des entreprises retenues. En particulier, le nombre moyen de mesures de prévention identifiées comme prioritaires et mises en œuvre a quasiment doublé par rapport aux années précédentes, et dépassé les objectifs du programme.

Les enseignements tirés de la mise en œuvre de ce programme comprennent l’importance d’une intervention précoce et de la formalisation des mesures de prévention tout au long des projets de construction. Pour que ce type de programme soit un succès, la mobilisation continue des acteurs de l’industrie du Bâtiment et Travaux publics, et en particulier des représentants de maîtres d’ouvrage, et le soutien constant sur les chantiers des experts en prévention de l’assurance maladie sont essentiels. Cependant, des difficultés persistent, notamment pour résoudre la question du manque de sécurité dans les projets de construction de maisons individuelles et améliorer la reconnaissance du rôle crucial des coordinateurs de sécurité et de protection de la santé. Il sera peut-être nécessaire de réaliser des ajustements réglementaires et de faire davantage de campagnes de sensibilisation pour mettre en lumière l’importance de la coordination en matière de sécurité.

L’intelligence artificielle au service de la sécurité et de la santé au travail dans le secteur de la construction (BG BAU, Allemagne)

L’Assurance sociale allemande des accidents de travail et maladies professionnelles du secteur de la construction (Berufsgenossenschaft der Bauwirtschaft – BG BAU) a reconnu l’énorme intérêt de l’intelligence artificielle (IA) pour le secteur public et assumé un rôle précurseur pour exploiter le potentiel de l’IA au sein de l’assurance sociale (Assurance sociale allemande des accidents de travail et maladies professionnelles, 2024c). Dans le cadre du projet de prévention des accidents à l’aide de l’IA financé par le ministère fédéral allemand du Travail et des Affaires sociales (Bundesministerium für Arbeit und Soziales – BMAS), une application d’IA a été développée. La BG BAU a développé cette application non seulement pour prévoir quelles sont les entreprises qui ont le plus de risques d’avoir des lacunes en matière de sécurité et de santé sur le lieu de travail, mais aussi pour identifier comme prioritaires celles qui présentent le niveau de risques le plus élevé. Le projet prévoyait une analyse, une collecte de données, le développement d’un modèle d’IA, le test du modèle, sa mise en œuvre et la gestion du changement, conformément aux Lignes directrices de l’AISS en matière de prévention des risques professionnels.

Entraînée avec près de 10 millions de points de données, l’application indique aux consultants en sécurité et santé au travail de la BG BAU quelles sont les entreprises qui présentent des risques potentiels d’accident dans un futur proche. Une visite sur site peut alors être organisée pour fournir des conseils à l’entreprise, à partir de l’analyse réalisée par l’IA des données collectées et prévenir des accidents graves et mortels.

Les résultats ont montré que 83 pour cent des consultants en sécurité et santé au travail étaient d’accord avec les recommandations formulées par l’IA, et cela a permis d’améliorer significativement l’efficacité et de réduire le temps de préparation. L’IA a identifié correctement des entreprises qui avaient d’importants besoins de conseils dans 58 pour cent des cas, contre 35 pour cent sans l’IA. En associant les prévisions de l’IA et l’expérience des consultants, le taux de réussite a atteint 64 pour cent. Cette approche ciblée a permis une affectation efficace des ressources, qui a bénéficié en particulier aux petites et moyennes entreprises (PME).

Les facteurs clés de la réussite de ce programme comprennent l’implication des parties prenantes, le maintien de l’autorité de décision des superviseurs et des retours d’informations en continu qui permettent d’améliorer l’IA. Les risques concernent le respect des lois sur la protection des données, les biais possibles qui peuvent conduire à des discriminations et le fait qu’il faut garantir une quantité et une qualité de données suffisantes pour entraîner le modèle d’IA.

Résumé des résultats

Le Tableau 1 résume les résultats que ces différentes institutions ont pu obtenir en s’appuyant sur une démarche proactive de prévention, les Lignes directrices de l’AISS et la méthodologie Vision Zero.

Les principaux facteurs de réussite

La participation, le dialogue avec les parties prenantes et le travail en réseau

La réussite de la mise en œuvre de mesures de prévention dépend de la participation active et du dialogue de tous les acteurs impliqués pour arriver à un accord sur une approche commune.

En Finlande, le FIOH a réussi à mobiliser de nombreuses entreprises dans des activités de travail en réseau sur le sujet de la prévention à l’échelle régionale. Cela a permis d’obtenir un engagement actif de ces entreprises et par conséquent une large adhésion de leur part à l’approche Vision Zero. Au Luxembourg, l’AAA a lancé un dialogue de haut niveau avec les parties prenantes, et les partenaires sociaux au niveau national se sont tous engagés à soutenir et promouvoir la stratégie nationale Vision Zero qui avait été adoptée conjointement. En Allemagne, les activités de la BGHW bénéficient d’un soutien plus large en raison de l’engagement fort des parties prenantes.

La communication, le partage de connaissances et les médias

Toutes les bonnes pratiques présentées ici incluent un élément de partage de connaissances par la communication. En Pologne, le concours de films organisé par la KRUS prévoyait des incitations (des prix) pour les participants. Il a aussi permis de toucher plus de 1 400 000 personnes grâce à l’organisation d’événements et de campagnes médiatiques. Le projet de la DGUV avec le Pendjab au Pakistan a touché 94,59 millions de personnes par le biais d’ateliers Vision Zero, d’articles de presse, de publications sur les médias numériques (y compris par SMS) et de campagnes de communication radiophoniques. La BGHW, l’AAA, la CNAM et l’IOSH ont aussi utilisé les médias pour sensibiliser et informer sur leurs projets de prévention.

Des stratégies, de l’analyse de données et des innovations techniques

La manière la plus efficace de réduire le nombre d’accidents est de cibler les secteurs où le plus grand nombre d’accidents et d’incidents ont lieu. C’est la raison pour laquelle l’analyse des données et le développement de stratégies pour toucher les secteurs à haut risque sont de la plus grande importance. L’AAA, la BGHW, la CNAM, la DGUV et le ministère du Travail et des Ressources humaines du Gouvernement du Pendjab, le FIOH et d’autres organismes ont analysé les statistiques nationales sur les accidents, identifié les secteurs à haut risque et élaboré des plans stratégiques pour traiter la question des risques professionnels. La BG BAU a aussi eu recours à la technologie et son application d’IA a analysé 10 millions de points de données et peut maintenant prévoir avec une précision acceptable où se produira le prochain accident. La stratégie de la CNAM d’inclure des obligations en matière de prévention dans la procédure d’appel d’offres des projets de construction est aussi fondée sur une analyse stratégique des données d’un secteur à haut risque.

Remarques finales

Les institutions membres de l’AISS en Europe ont réalisé des progrès en matière de prévention et fait la promotion de la prévention dans d’autres régions du monde. Les outils de l’AISS, notamment Vision Zero, les Lignes directrices de l’AISS et les activités qui en découlent ont soutenu ces efforts.

Chacune des bonnes pratiques décrites dans cet article est un exemple des approches innovantes et de la collaboration mises en œuvre pour améliorer la sécurité et la santé au travail. En traitant des problèmes spécifiques et en adaptant les stratégies aux différents contextes locaux, ces pratiques contribuent à faire des lieux de travail des lieux plus sûrs, plus sains et plus productifs. En se concentrant sur les mesures adoptées et les résultats obtenus, elles ont démontré à quel point il est important d’adapter les stratégies aux contextes locaux et de promouvoir une culture de la prévention. Elles ont créé des environnements de travail plus sains et plus sûrs. L’analyse des facteurs de réussite montre que, même si la participation, le dialogue avec les parties prenantes, le travail en réseau et la communication, le partage de connaissances et les médias restent les principaux facteurs de réussite, l’analyse de données et l’innovation technique sont aussi des facteurs de réussite qui permettent la mise en œuvre de bonnes pratiques en matière de prévention.

L’AISS continue à soutenir les institutions de sécurité sociale et les autres acteurs de la prévention par le biais de ses diverses activités de partage de connaissances et de travail en réseau, notamment via les sites Web de Vision Zero et de l’AISS.

Références