Analyse

Évolution des pratiques de gestion – Amériques

Analyse

Évolution des pratiques de gestion – Amériques

Dans les Amériques comme dans le reste du monde, la sécurité sociale est le vecteur à travers lequel la population perçoit la présence des pouvoirs publics. La qualité de l’expérience des usagers de la sécurité sociale est un baromètre précieux de la satisfaction du public à l’égard des pouvoirs publics et des dirigeants politiques, raison pour laquelle les administrateurs ont tout intérêt à se mobiliser pour garantir l’excellence dans l’administration de la sécurité sociale.

Les institutions de sécurité sociale des Amériques modernisent leurs pratiques de gestion afin de continuer de relever des défis et de s’améliorer lorsque cela est nécessaire. Elles mettent en œuvre un large éventail de méthodes et d’approches qui conjuguent des stratégies efficaces et axées sur des objectifs, un personnel extrêmement compétent et des processus opérationnels optimisés grâce aux nouvelles technologies. Tout administrateur clairvoyant s’appuie sur des plans stratégiques accompagnés de plans de gestion des risques. De même, l’application de normes, cadres et référentiels internationaux fait désormais partie de la pratique courante.

Ces dernières années, la région est entrée dans une nouvelle ère en matière de fourniture de services, misant sur l’alliance des compétences et capacités humaines et des technologies numériques. Dans les Amériques, la sécurité sociale s’affranchit progressivement des processus manuels nécessitant des échanges physiques et l’utilisation du papier au profit de services mobiles et en ligne garantissant rapidité, souplesse et commodité. Le passage aux nouvelles technologies multiplie les modalités d’accès aux prestations et services. L’investissement dans les compétences et capacités des ressources humaines permet au personnel de mieux maîtriser le numérique. L’énorme sollicitation à laquelle la sécurité sociale a dû faire face en raison de la pandémie de COVID-19 a clairement démontré la valeur ajoutée de ressources humaines maîtrisant le numérique et pouvant s’appuyer sur des technologies numériques: il a en effet été possible de concevoir et de déployer sans délai des solutions pour répondre aux besoins du public.

À l’échelle mondiale, la région Amériques a été pionnière dans l’utilisation du big data, de l’intelligence artificielle et de l’apprentissage automatique, de même que de bases de données intégrées garantissant l’interopérabilité des processus. Elle commence à explorer la capacité de ces technologies à fournir rapidement des informations utilisables pour lutter contre l’erreur, l’évasion et la fraude dans le domaine de la sécurité sociale.

Messages clés

  • Innover au niveau de la gestion des institutions de sécurité sociale suppose de renforcer les capacités de gouvernance, en particulier la planification stratégique, la gestion des performances et la gestion des risques.
  • La création de canaux numériques permet d’élargir l’offre de services de qualité aux usagers. Ces évolutions impliquent de renforcer les capacités des institutions et de comprendre les besoins des usagers de même que leur aptitude à utiliser les technologies numériques.
  • Il est essentiel de garantir la continuité des services de sécurité sociale pendant les périodes difficiles. À cet égard, les capacités institutionnelles et la collaboration entre institutions, conjuguées à l’ingéniosité humaine, jouent un rôle déterminant.
  • Faire respecter les règles en luttant contre l’erreur, l’évasion et la fraude exige de puissants systèmes de détection. Des bases de données de bonne qualité et des cadres réglementaires clairs, formalisant le statut des travailleurs et les obligations contributives des employeurs, sont des leviers précieux.
  • La transformation institutionnelle visant à parvenir à l’excellence dans la gestion repose sur trois stratégies de gouvernance: numérique par défaut, collaboratif par défaut et administration fondée sur les données. Ces trois stratégies ont pour but de permettre l’avènement d’une sécurité sociale plus intelligente, plus rapide, plus transparente et plus réactive.
  • Une administration fondée sur les données implique d’exploiter des données de qualité, l’analyse et l’intelligence artificielle pour améliorer les processus et la prise de décision. Une utilisation avisée des données accumulées dans les énormes bases de données de la sécurité sociale permet aux institutions de sécurité sociale de devenir plus efficientes, d’améliorer les services aux usagers et de lutter contre l’évasion et la fraude. C’est aussi un moyen de mettre au point des mesures et politiques de prévention dans des domaines tels que la santé et la protection sociale en faveur des populations vulnérables.
  • L’utilisation intensive de TIC avancées est un facteur de succès qui comporte aussi des risques et des défis. La mise en place de plans stratégiques bien définis, assortis de plans de gestion des risques et cohérents par rapport aux objectifs institutionnels, est une condition préalable à l’adoption des technologies et à la transformation numérique. L’utilisation stratégique des nouvelles technologies doit aller de pair avec la gestion et le développement des ressources humaines. Les dirigeants de l’institution doivent accompagner l’évolution vers une utilisation plus intelligente d’un capital humain s’appuyant sur l’innovation technologique.

Facts & trends

E-government development Index

Figure 1

Digital inclusion development

Figure 2

Access to online services: Mobile and home‑based connectivity

Figures 3 and 4

Digital inclusion

Access to online services

Mobile connectivity – Internet access

Accroître l’excellence de la gestion – renforcer la planification stratégique et la gestion du risque

Les institutions des Amériques renforcent les capacités dont elles disposent pour honorer leur mandat en faisant appel à la gestion stratégique et à la gestion du risque au niveau institutionnel. Pour mener à bien ces transformations, elles s’appuient sur des normes et modèles internationaux divers, par exemple le prix national de la qualité Malcolm Baldridge, les recommandations de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et les Lignes directrices de l’AISS en matière de bonne gouvernance (AISS, 2019a), qui insistent en particulier sur le fait que planification stratégique et gestion des risques vont de pair.

La Caisse d’assurance sociale du Costa Rica (Caja Costarricense de Seguro Social – CCSS) améliore sa culture du risque en renforçant davantage son plan stratégique et son système de gestion des risques, par exemple à travers l’établissement d’une liste complète de risques et la définition d’indicateurs des risques. Elle évalue son plan stratégique chaque année pour s’assurer que les performances institutionnelles sont en phase avec les objectifs et objectifs intermédiaires définis. Cette forme d’évaluation est de plus en plus utilisée par les institutions de la région pour améliorer en permanence leurs performances.

Au Pérou, Derrama Magisterial continue de renforcer sa culture de la bonne gouvernance au moyen d’un modèle d’excellence de la gestion. L’institution a récemment créé de nouvelles instances de gouvernance, dont un comité pour la bonne gouvernance institutionnelle et un service chargé de la conformité à la réglementation, afin de favoriser le respect des principes et bonnes pratiques de gouvernance qu’elle défend.

L’Institut de sécurité sociale du Guatemala (Instituto Guatemalteco de Seguridad Social – IGSS) estime devoir ses réalisations récentes à son plan stratégique quinquennal. La définition d’objectifs clairs en matière d’extension de la couverture, d’équilibre financier, de qualité des services, de développement des ressources humaines et d’amélioration de la transparence lui permet de s’améliorer de façon systématique et de concentrer ses efforts sur l’amélioration de l’efficience et de l’efficacité.

De même, l’Institut mexicain d’assurance sociale  (Instituto Mexicano del Seguro Social – IMSS) a mis au point un modèle pour améliorer la qualité et l’efficience administrative au niveau institutionnel. Ce modèle est conforme aux normes internationales, dont les lignes directrices de l’AISS sur l’intégration de l’innovation et la gestion du changement (Lignes directrices de l’AISS en matière de qualité des services, Ligne directrice 25) et sur la mesure et la gestion de la satisfaction des clients (Lignes directrices de l’AISS en matière de qualité des services, Ligne directrice 20) (AISS, 2019b). Il inclut des objectifs d’amélioration de la gouvernance et de la qualité des services et prévoit l’instauration d’un environnement de travail axé sur l’amélioration continue et la progression des performances.

Les graves répercussions de la crise provoquée par la COVID-19 n’ont pas remis en cause la bonne gouvernance et l’excellence de la gestion des institutions de sécurité sociale des Amériques, ce qui mérite d’être souligné. Au contraire, les institutions utilisent leurs capacités pour relever les défis engendrés par la pandémie.

Fournir des services, répondre aux attentes du public

Il est plus important que jamais de fournir des services de qualité. Soucieuses de mieux répondre aux attentes du public, les institutions de sécurité sociale recherchent de nouvelles pistes pour améliorer la qualité de leurs services et pour accorder une place plus centrale à l’usager. En outre, les systèmes et infrastructures qui étaient déjà en place lorsque la COVID-19 est survenue dans la région leur ont permis de réagir avec une rapidité et une efficacité remarquables.

Deux stratégies majeures se sont révélées particulièrement précieuses pour la préparation de la région à affronter la crise, à savoir que de nombreuses institutions avaient commencé à renforcer les capacités de leurs ressources humaines en matière de nouvelles technologies et à transformer l’architecture des services.

Création de canaux numériques – Optimiser les capacités humaines et les technologies numériques

La pandémie de COVID-19 démontre de manière éclatante que les technologies constituent un levier puissant sur le plan opérationnel et ont une formidable capacité à relier les individus et à leur permettre de rester impliqués. Malgré les confinements, l’arrêt des systèmes de transport, la fermeture des entreprises et la peur généralisée de la contagion, il a été possible de fournir des prestations et services de sécurité sociale, et ce grâce à un bon leadership, à l’ingéniosité du personnel et à une utilisation judicieuse des technologies.

Il se trouve qu’avant la pandémie, la région avait amorcé un virage technologique qui a permis l’accès en ligne aux prestations et services. Il y a peu de temps encore, les procédures courantes et les normes en place exigeaient de se déplacer physiquement pour déposer un formulaire de demande qui était ensuite traité manuellement. Il en résultait souvent des retards coûteux en temps et en ressources, pour le public comme pour l’institution. L’accueil physique des usagers était chronophage pour le personnel, et la conservation physique des pièces jointes aux demandes déposées sur formulaire papier était coûteuse pour l’institution. Enfin, les procédures manuelles comportaient un risque d’erreurs et d’interventions discrétionnaires.

Ce fonctionnement était à l’évidence insatisfaisant. Les administrateurs de la sécurité sociale ont alors entrepris de renforcer les capacités des ressources humaines et d’exploiter le potentiel offert par les technologies numériques, amorçant ainsi la transformation des services de sécurité sociale dans la région. Certaines institutions sont désormais en bonne voie pour réussir à transformer intégralement le fonctionnement de la sécurité sociale et l’architecture des services. Celles qui n’en étaient qu’au tout début de cette transition ont dû accélérer le déploiement des plans face à la crise provoquée par la COVID-19.

  1. Du physique au virtuel. Avant la pandémie, les institutions de sécurité sociale de la région avaient déjà commencé à convertir les services physiques en services virtuels et à remplacer les démarches physiques par des rendez-vous en ligne, des chatbots (agents conversationnels) et des applications mobiles. L’introduction précoce de services en ligne et de services mobiles a préparé la population à recourir à des plateformes en ligne et à des applications mobiles pour accéder à la sécurité sociale lorsque la distanciation sociale et l’absence de contacts physiques sont devenues la norme sous l’effet de la pandémie. Les paragraphes suivants présentent quelques exemples des innovations mises en œuvre dans la région.
    • En Argentine, l’Administration nationale de la sécurité sociale de l’Argentine (Administración Nacional de la Seguridad Social – ANSES) s’est transformée, si bien qu’il est désormais possible de transmettre les demandes par voie électronique et d’accéder à des plateformes d’assistance virtuelles. De même, il est maintenant possible de déposer des demandes par voie numérique auprès de l’Administration fédérale des recettes publiques (Administración Federal de Ingresos Públicos – AFIP). Le Conseil fédéral d’assurance sociale (Consejo Federal de Previsión Social – COFEPRES) a mis en place des services en ligne pour le recouvrement des cotisations et le versement des pensions. Enfin, la Superintendance des risques professionnels (Superintendencia de Riesgos del Trabajo – SRT) s’est notamment dotée d’un chatbot nommé Julia Lanteri pour répondre aux demandes de renseignements de ses membres.

    • Au Brésil, le portail Meu INSS (Mon INSS) de l’Institut national de sécurité sociale (Instituto Nacional do Seguro Social – INSS) propose plus de 90 services, de l’immatriculation au paiement de prestations.

    • En Colombie, l’Administrateur colombien de pensions (Administradora Colombiana de Pensiones – ColPensiones) fait appel à des mécanismes en ligne pour le versement des pensions et a récemment introduit un service de paiement des cotisations en ligne pour les artisans, les musiciens et les travailleurs informels.

    • Au Costa Rica, la CCSS fait appel à deux applications mobiles pour permettre l’accès aux dossiers et services de santé et pour garantir un meilleur suivi et une meilleure prise en charge des usagers.

    • En Équateur, l’Institut équatorien de sécurité sociale (Instituto Ecuatoriano de Seguridad Social – IESS) propose des services de téléconsultation auxquels les patients vulnérables et ceux qui ont perdu leur mobilité peuvent faire appel en priorité par souci de commodité.

    • Au Guatemala, l’Institut de sécurité sociale du Guatemala (Instituto Guatemalteco de Seguridad Social – IGSS) a mis au point un outil électronique qui a permis de faire passer de 13 mois en moyenne à un jour le délai de traitement des demandes de paiement de cotisations facultatives.

    • Au Mexique, il n’est plus nécessaire de se rendre qu’une seule fois au maximum dans une agence de l’IMSS, et des processus numérisés et interopérables accélèrent le paiement des prestations. L’Institut de sécurité sociale et des services sociaux des travailleurs au service de l’État (Instituto de Seguridad y Servicios Sociales de los Trabajadores del Estado – ISSSTE) est doté d’un système de dépôt électronique des demandes qui a accru l’équité et la transparence de l’attribution de prêts, désormais électronique et aléatoire.

    • Au Panama, l’environnement virtuel de la Caisse d’assurance sociale (Caja de Seguro Social – CSS) permet de demander et de percevoir des prestations en ligne. En outre, une application mobile permet d’accéder à des soins médicaux élémentaires et un chatbot répond aux questions des membres et les prend en charge.

    • Au Pérou, Derrama Magisterial recouvre les cotisations et paie les prestations par l’intermédiaire de canaux numériques et l’Institut d’assurance sociale de santé (EsSalud) est doté d’un portail virtuel dénommé VIVA grâce auquel les membres peuvent accéder aux services à distance au lieu d’avoir à se déplacer.

    • En Uruguay, le Cercle catholique ouvrier de l’Uruguay mutualiste (Círculo Católico de Obreros del Uruguay Mutualista) a eu recours aux vidéoconsultations et aux réseaux sociaux pour dispenser des services en temps réel pendant la pandémie. La Banque d’assurance sociale (Banco de Previsión Social – BPS) a créé un chatbot intelligent et fait appel à l’automatisation robotisée des processus pour accélérer la fourniture des services. Une application mobile permet aux contrôleurs d’accéder à des bases de données pour détecter d’éventuelles irrégularités pendant les inspections sur le terrain.

  2. Investir dans les compétences du personnel.  Qu’elle soit présentielle ou virtuelle, la formation du personnel développe les compétences et renforce les capacités. Les exemples ci-après montrent que les institutions de la région Amériques membres de l’AISS forment régulièrement leurs ressources humaines. Les cours en e-learning présentent l’avantage d’offrir au personnel la possibilité d’améliorer leurs compétences de manière autonome et indépendante.
    • En Argentine, l’Association mutuelle pour la protection de la famille (Asociación Mutual de Protección Familiar – AMPF) forme régulièrement les aidants familiaux, les assistants thérapeutiques et les étudiants à l’utilisation des aides techniques destinées aux personnes âgées et handicapées. L’objectif est d’aider ces personnes à être plus autonomes et à avoir une meilleure qualité de vie, de leur permettre d’accomplir des gestes de la vie quotidienne – manger, s’habiller et se laver –, d’améliorer leur mobilité et de faciliter leurs activités professionnelles et de loisir.

    • Au Brésil, les «parcours d’apprentissage» proposés par l’INSS ont une structure modulaire et font appel à des ressources pédagogiques telles que des jeux, des cartes mentales, des podcasts et le mentorat, ce qui permet une adaptation à différents profils, besoins et styles d’apprentissage.

    • Au Chili, la Mutuelle de la sécurité CChC (Mutual de Seguridad CChC) forme son personnel à la sécurité et à la santé au travail. Elle dispose d’espaces de formation virtuels et de forums en ligne équipés d’applications de réalité augmentée.

    • Au Costa Rica, l’utilisation de dossiers de santé numériques uniques en vue de l’automatisation des services de santé a nécessité une transformation radicale de l’utilisation des technologies et processus. Pour gérer les réactions du personnel au changement – résistance au changement, peur et frustration, par exemple –, la CCSS lui a permis d’acquérir rapidement les compétences qui lui faisait défaut en matière d’utilisation des technologies et de nouveaux processus. À cette fin, elle a impliqué des leaders qui, même s’ils n’occupaient pas un poste de responsable, exerçaient une forte influence sur les réseaux informels.

    • Au Mexique, l’IMSS a mis en place des programmes pour sensibiliser le personnel aux soins liés à la grossesse et améliorer leur approche dans ce domaine. Par ailleurs, le centre de médecine familiale de l’ISSSTE offre des cours en ligne sur le vieillissement actif et en bonne santé dans l’intérêt de ses usagers.

    • Au Pérou, le personnel de Derrama Magisterial fait appel à un modèle d’excellence de la gestion pour s’autoévaluer, identifier ses besoins, ses points forts et les domaines dans lesquels des améliorations sont nécessaires. Ce modèle repose sur sept critères – leadership; stratégie; clients; mesure, analyse et gestion des connaissances; personnel; actions et résultats.

    • En Uruguay, le Cercle catholique ouvrier de l’Uruguay mutualiste mène des actions de formation continue pour aider le personnel infirmier travaillant dans les services d’urgence et de soins intensifs à dispenser des soins au moment où ils sont nécessaires, avec humanité et en toute sécurité, en particulier aux enfants souffrant d’une maladie grave.

    Les plateformes en ligne se sont révélées particulièrement précieuses lorsque la pandémie de COVID-19 est survenue. Elles ont aidé à diffuser rapidement au personnel des informations sur la santé, les traitements et les protocoles de soins à appliquer. Les portails Web et réseaux sociaux institutionnels ont constitué des sources fiables d’information du public sur les mesures de sécurité et ont permis de diffuser des informations pratiques sur le maintien des prestations et services de sécurité sociale pendant la pandémie.

Transformation institutionnelle

Les institutions de sécurité sociale de la région redéfinissent leurs politiques et stratégies de manière à répondre aux besoins profonds et croissants du public. L’efficience et la souplesse de la stratégie qui consiste à allier l’humain et le numérique sont désormais au cœur de la transformation des infrastructures sur lesquelles reposent les services. Des améliorations ponctuelles ou imposées par les circonstances ouvrent la voie à des stratégies de transformation pluriannuelles qui mobilisent au moins trois approches – numérique par défaut, collaboratif par défaut et sécurité sociale fondée sur les données –, qui ont toutes pour but de permettre l’avènement d’une sécurité sociale plus intelligente, plus rapide, plus transparente et plus réactive.

  1. Numérique par défaut. L’alliance des compétences humaines et des technologies numériques donne naissance à une sécurité sociale plus agile et plus habile, capable de fournir rapidement et de façon sûre des prestations et services, y compris pendant une crise telle que la pandémie de COVID-19. Les plateformes en ligne et mobiles, les solutions numériques et les applications modulaires marquent le début d’une nouvelle ère en matière de services.

    Grâce à la rationalisation et à la simplification des processus, la sécurité sociale peut désormais facilement standardiser et élaborer des protocoles pour la fourniture des services, voire les automatiser. En Argentine, l’AFIP a numérisé plusieurs formalités qui reposaient sur des formulaires papier, tandis qu’en Uruguay, la Caisse de retraites et de pensions des employés de banque (Caja de Jubilaciones y Pensiones Bancarias – CJPB) a totalement supprimé le papier, ce qui a joué un rôle très important dans la mise en place du télétravail imposée par la pandémie de COVID-19.
  2. Collaboratif par défaut. Si l’innovation est souvent associée à des découvertes individuelles à mettre au crédit d’esprits brillants, de récentes études révèlent qu’elle est favorisée par la collaboration, laquelle suppose en général que plusieurs divisions d’une organisation travaillent ensemble. Emploi et développement social Canada (EDSC) a suivi cette voie. À partir d’une expérience de design thinking immersif lancée à titre pilote en 2017 et consistant à transformer les idées du personnel, des clients et des partenaires en solutions centrées sur le client, EDSC a créé de nouvelles structures de gouvernance afin d’instaurer sur le lieu de travail une culture collaborative par défaut. Ce projet s’inscrivait dans le cadre d’une stratégie pluriannuelle de transformation des services qui a conduit, entre autres, à la création du Centre d’accélération, un espace physique permanent dans lequel une collaboration en mode présentiel ou virtuel aboutit à imaginer des améliorations des services et des solutions à partir de méthodes de conception agiles et reproductibles. Cette stratégie permet des collaborations plus fortes au sein de l’organisation et améliore les relations avec d’autres organismes publics fournissant des services connexes, ce qui permet de simplifier et d’améliorer les services offerts aux Canadiens.
  3. Une sécurité sociale reposant sur les données. De plus en plus d’institutions utilisent les données comme un actif stratégique pour la sécurité sociale, utilisant des systèmes d’information avancés, l’intelligence artificielle et l’analyse.
    • Il y a peu de temps encore, l’INSS, au Brésil, perdait des milliards de réais brésiliens en pensions versées à des bénéficiaires décédés. Cette situation était principalement due à l’incapacité des bureaux de l’état civil à signaler rapidement le décès à l’INSS. Un système intelligent de gestion des données y a remédié et l’INSS est désormais en mesure de délivrer des certificats de décès numériques en temps réel.

    • Au Mexique, lorsque la pandémie est survenue, l’IMSS a été confronté à d’énormes difficultés parce que ses données étaient stockées dans de nombreuses bases non connectées les unes aux autres. Pour pouvoir répondre aux besoins engendrés par la crise, il a privilégié la création d’une base de données unique dans le cadre d’une stratégie de gouvernance des données dont la mise en œuvre s’étalera sur plusieurs années. Cette stratégie a pour but de fournir des informations à valeur ajoutée afin d’éclairer la prise de décisions opérationnelles et stratégiques. Ces évolutions reposent non seulement sur les ressources humaines et technologiques de l’institution, mais aussi sur une interopérabilité avec d’autres organismes qui permet l’échange de données.

    • Au Pérou, EsSalud dispose d’une Unité de veille et d’analyse des données (Unidad de Inteligencia y Análisis de Datos – UIAD) qui a pour but de créer des informations précieuses en temps réel pour éclairer les décisions de la direction. Les services se sont améliorés grâce au tableau de bord contenant des données sur les rendez-vous, les visites à domicile, les lits hospitaliers disponibles et les séjours prolongés, et aux rapports journaliers sur les achats de médicaments. Une «carte de densité» permet de suivre la propagation de la COVID-19 et aide l’institution à affronter la pandémie.

    • Au Costa Rica, la CCSS utilise l’analyse pour faciliter la gestion opérationnelle et stratégique des services de santé, en particulier durant la pandémie. Cette stratégie permet de fournir des informations pertinentes sur l’évolution des services médicaux proposés dans différents centres de santé et sur l’impact du report de traitements médicaux en raison de la COVID-19. Parmi les facteurs importants, la CCSS a insisté sur la nécessité de veiller à la bonne qualité des données pour que l’analyse donne des résultats fiables. Les compétences du personnel en matière d’analyse des données et une culture institutionnelle accordant une large place à la prise de décision fondée sur les données jouent également un rôle clé. Le soutien de la direction est nécessaire pour développer davantage ces pratiques, en particulier lorsqu’elles impliquent des changements organisationnels.

    • En Uruguay, la BPS utilise des modèles prédictifs pour lutter contre l’erreur, l’évasion et la fraude dans le recouvrement des cotisations selon deux axes différents: i) repérer les cotisants potentiellement non respectueux de leurs obligations pour les soumettre à un contrôle et ii) repérer les demandes de prestations frauduleuses. La première application est utilisée depuis 2013, tandis que la deuxième est plus récente et se révèle utile pour la vérification du bien-fondé des demandes de prestations liées à la COVID-19.

    • Au Canada, EDSC fait appel à des techniques basées sur l’intelligence artificielle pour repérer les personnes susceptibles de prétendre au Supplément de revenu garanti (SRG), une prestation en espèces en faveur des personnes âgées modestes. En seulement deux mois, les modèles reposant sur l’apprentissage automatique ont permis de traiter plus de 10 millions d’informations non structurées et de repérer plus de 2 000 Canadiens ouvrant droit à la prestation.

Bonnes pratiques

Brésil: Automatisation des prestations – transformation numérique de bout en bout

L’Institut national de sécurité sociale (Instituto Nacional do Seguro Social – INSS) s’est trouvé confronté à un défi de taille face à la sollicitation croissante de ses services administratifs, qui exigeaient le plus souvent que les usagers se déplacent et que le personnel soit en contact direct avec eux. La complexité des structures municipales se traduisait par une fragmentation des processus, qui étaient gérés par des divisions administratives distinctes. L’intégration des opérations était extrêmement réduite, ce qui entraînait des faiblesses au niveau de l’octroi et du calcul des prestations, une prise de décision solitaire et une absence de contrôle de la gestion des prestations dans son ensemble. Une réduction des effectifs municipaux est venue aggraver les retards.

L’INSS a entrepris de créer un portail de services afin de regrouper et d’automatiser des processus qui reposaient jusqu’alors sur l’intervention humaine. Les solutions mises en place supposaient une réforme de la législation, la révision de règles internes et l’intégration des systèmes d’information. Les processus ont été modélisés dans le but de garantir un traitement cohérent et intégré des données relatives aux membres, ce traitement devant ensuite servir de base à l’automatisation des décisions sur les demandes de prestations. Fin 2016, des systèmes permettant de statuer sur les demandes sans que l’assuré ait besoin d’être physiquement présent étaient en place. Le processus décisionnel a gagné en transparence, les coûts opérationnels ont diminué, tandis que la qualité et la rapidité des services se sont considérablement améliorées.

Canada: La transformation des services – le design thinking et le Centre d’accélération


Emploi et développement social Canada (EDSC) verse 122 milliards CAD de prestations aux Canadiens et fournit des services par l’intermédiaire de multiples canaux. La structure qui permet la fourniture des services fonctionne bien et repose sur des équipes spécialisées réparties dans différentes agences dans quatre régions. Cette organisation n’est cependant pas nécessairement synonyme d’approche globale de l’innovation et de la conception collaboratives et créatives. Les améliorations apportées aux services étaient souvent isolées ou ponctuelles et n’impliquaient généralement pas les citoyens ou partenaires.

Pour y remédier, EDSC a pris des mesures afin de concevoir et de mettre en œuvre une stratégie de transformation pluriannuelle ambitieuse à l’échelle de l’institution dans son ensemble en vue d’améliorer l’offre de services. Il a expérimenté à titre pilote un processus immersif de design thinking à travers lequel il a testé des méthodes de conception agiles et reproductibles pour recueillir des idées innovantes de la part de ses employés, de ses usagers et de ses partenaires afin de les traduire en services centrés sur l’usager. L’expérimentation pilote ayant été couronnée de succès, EDSC a décidé de créer un espace physique à l’appui de cette nouvelle méthode, le Centre d’accélération.

Le Centre d’accélération permet une collaboration en mode présentiel ou virtuel qui aboutit à imaginer des solutions d’amélioration des services, des concepts et des idées. À noter que cette stratégie transforme les structures organisationnelles et de gouvernance d’EDSC et engendre de nouvelles capacités. Le cloisonnement des programmes, agences et régions disparaît rapidement au profit d’une gestion intégrée des services. La culture sur le lieu de travail change, EDSC transformant ses services au niveau des quatre piliers caractéristiques d’une offre de services moderne: une expérience hors pair de la fourniture de prestations et de services; un service exact et cohérent, quelles que soient la branche ou la région; une résolution immédiate des problèmes; la possibilité, pour les personnes qui font le choix d’utiliser le numérique, d’accéder aux services à tout moment.

Bibliographie

AISS. 2019a. Lignes directrices de l’AISS en matière de bonne gouvernance. Genève, Association internationale de la sécurité sociale.

AISS.  2019b. Lignes directrices de l’AISS en matière de qualité des services. Genève, Association internationale de la sécurité sociale.

AISS. 2021. Base de données AISS des bonnes pratiques. Genève, Association internationale de la sécurité sociale.

UIT. 2020. Measuring digital development: Facts and figures 2020. Genève, Union internationale des télécommunications.

UNDESA. 2020. United Nations e-Government Survey 2020: Digital government in the decade of action for sustainable development. New York, NY, Nations Unies – Département des affaires économiques et sociales