Publiée depuis 1948, la revue International Social Security Review (ISSR) est la plus importante publication trimestrielle internationale en matière de sécurité sociale dans le monde.
La numérisation de l’économie peut se comprendre comme une révolution industrielle, une série d’innovations technologiques associées à de nouvelles pratiques et à de nouveaux modèles d’affaires. Comme pour les précédentes révolutions industrielles, une phase de destruction des systèmes et structures existants conduit à une transformation profonde du monde du travail, au développement de nouveaux secteurs d’activité et de nouveaux emplois ainsi qu’à une évolution du marché du travail et de la nature des emplois créés. Cette situation remet en cause la position des classes moyennes et pose de nouveaux défis à la protection sociale. Cet article cherche à comprendre les effets de la technologie numérique sur l’économie et sur l’emploi, notamment les phénomènes de polarisation du marché du travail, à caractériser les nouvelles formes d’emploi et de travail, à analyser les risques sociaux et les conséquences potentielles pour les classes moyennes et, enfin, à discuter les nouvelles perspectives pour la protection sociale à l’ère du numérique. Il conclut sur la nécessité de réévaluer les emplois impliquant la fourniture de services de soins et aux personnes, notamment le soutien à l’investissement social, pour renforcer les perspectives d’avenir des classes moyennes affaiblies.
L’économie de plateforme numérique soulève un certain nombre de questions juridiques complexes en termes de législation du travail et de protection sociale. Les relations de travail atypiques propres à de nombreuses plateformes numériques (par exemple, relations multilatérales, ultratemporaires, autonomes ou externes) – souvent contractuellement définies comme du travail indépendant – ont remis en cause l’application des législations du travail et en matière de sécurité et de santé au travail dans de nombreux pays à travers le monde, dans la mesure où l’application de ces règles dépend souvent de l’existence d’une «relation de travail». Ces évolutions s’inscrivent dans le cadre de l’augmentation générale de l’emploi atypique, qui est notamment plus marquée depuis la crise économique et financière de 2007-2008. Si la responsabilité de résoudre les conflits entre les plateformes numériques et leurs travailleurs est pratiquement revenue aux tribunaux, certains Etats membres de l’Union européenne (UE) tels que la France ont adopté des mesures juridiques particulières pour pallier ces difficultés. L’UE elle-même s’implique de plus en plus, le jugement de la Cour de justice européenne dans le cas de l’affaire Uber fournissant certaines orientations sur la «question de l’emploi». Une proposition de directive sur des conditions de travail transparentes et prévisibles, visant à garantir un niveau de protection minimale aux travailleurs des plateformes numériques au sein de l’UE, est également à l’étude. Cet article analyse la problématique de la législation du travail dans l’économie de plateforme numérique et examine les différentes réponses apportées par les tribunaux et les décideurs politiques à travers l’UE qui pourraient ouvrir la voie à des évolutions dans ce domaine en dehors de l’UE.
A l’échelle mondiale, on estime qu’il faudra créer 734 millions d’emplois entre 2010 et 2030 pour résister aux évolutions démographiques récentes et actuelles, contribuer à une évolution plausible des taux de participation au marché du travail, et atteindre les objectifs relatifs aux taux de chômage (au maximum 4 pour cent chez les adultes et 8 pour cent chez les jeunes). Le fait que la plupart des nouveaux emplois devront être créés dans des pays où le travail «décent» est peu répandu et où l’automatisation menace de plus en plus les travailleurs de nombreux secteurs complique davantage ce défi, qui s’annonce déjà historiquement considérable. Si on ne parvient pas à créer les emplois nécessaires d’ici à 2030, les systèmes de sécurité sociale actuels seront mis sous pression, et cela minera les efforts visant à concrétiser le socle de protection sociale prévu par les objectifs de développement durable (ODD).
La numérisation transforme les sociétés et les économies du monde entier à un rythme et à une échelle sans précédent. Dans un contexte d’automatisation et de numérisation, de nouvelles formes d’emploi émergent dans nombre de professions et de secteurs, telles que l’économie de plateforme numérique. Afin de concrétiser le droit humain à la sécurité sociale pour tous face à l’émergence de nouvelles formes d’emploi, notamment sur les plateformes en ligne, les systèmes de protection sociale doivent s’adapter aux situations et besoins spécifiques des travailleurs. A l’heure actuelle, les travailleurs des plateformes numériques ne sont vraiment pas assez couverts par les systèmes de protection sociale. Lorsqu’ils sont couverts, c’est souvent grâce à un emploi antérieur ou à un emploi supplémentaire, ou encore à leurs conjoints ou à d’autres membres de leur famille. Cette situation soulève des questions autour des plateformes en ligne, qui profitent de l’économie traditionnelle sans apporter la moindre contrepartie financière pour la sécurité sociale. Comment les systèmes de protection sociale peuvent-ils s’adapter aux formes d’emploi émergentes pour garantir une couverture complète et effective aux travailleurs dans tous les secteurs, y compris au sein des «nouvelles» formes de travail? Comment les travailleurs de toutes les formes de travail, dont les travailleurs des plateformes numériques, peuvent-ils bénéficier d’une couverture exhaustive et adaptée – grâce à la combinaison de régimes contributifs et non contributifs ainsi qu’à des mécanismes de financement équitables et durables –, de manière à garantir une protection sociale adaptée pour tous?
Cette édition spéciale de l’International Social Security Review se penche sur les thématiques multidisciplinaires de l’économie numérique et de la sécurité sociale. Les articles sélectionnés pour ce numéro offrent un certain nombre de perspectives concernant l’environnement changeant et de plus en plus complexe dans lequel les institutions de sécurité sociale fournissent leurs services, et ils analysent de manière critique non seulement l’impact que cet environnement peut avoir sur les institutions de sécurité sociale, mais aussi les réponses qu’elles peuvent apporter aux défis à venir. Les institutions de sécurité sociale ne contrôlent pas les facteurs externes qui peuvent entraver le financement et la couverture des programmes de sécurité sociale. Toutefois, le passage à l’économie numérique apporte une nouvelle tâche à accomplir: la gestion de transformations inédites. Si la principale préoccupation demeure la garantie de la continuité des services, la fourniture de ceux-ci doit aussi être améliorée pour toutes les parties prenantes. Il convient par ailleurs d’apporter des réponses aux nouveaux défis opérationnels et aux risques émergents liés à la couverture. Dans les économies plus développées en particulier, les défis socio-économiques qui accompagnent les transformations du marché du travail provoquées par le passage à l’économie numérique sont souvent considérés comme des risques de précarité grandissante. L’objectif politique mondial reste malgré tout de garantir des systèmes de protection sociale durables et adaptés pour tous.
Avec les nouvelles technologies, les marchés du travail évoluent. Cet article a pour objectif principal de traiter des différences qui existent entre les Etats-providence en Europe pour s’adapter aux marchés du travail en mutation. Ces variations suggèrent que certains Etats-providence sont mieux préparés que d’autres, y compris dans leur capacité à garantir un financement durable. Au cours des prochaines années, on s’attend à ce que les développements technologiques aient un impact énorme sur les marchés du travail, dont un renforcement de la «dualisation» et de nouveaux clivages entre les «privilégiés» et les «exclus». Le nombre d’emplois industriels devrait diminuer, et le secteur des services s’attend lui aussi à un déclin en raison de l’automatisation. Si de nouveaux emplois devaient être créés, seul l’avenir nous dira s’ils compenseront le nombre d’emplois supprimés. Il existe par conséquent un risque que de nombreux individus dont les compétences ne sont plus à jour se retrouvent au chômage, à court comme à long terme. En outre, même si un nombre identique d’emplois est créé, il y aura une période de transition. Par conséquent, les Etats-providence seront remis en cause non seulement sur leur façon de financer leurs activités, mais aussi face à la menace que posera à la cohésion sociale le fait d’avoir des «perdants» et des «gagnants» sur les marchés du travail émergents. Cette menace s’accompagnera par ailleurs d’un risque plus élevé de renforcement des inégalités. Cet article émet des suggestions sur la manière dont les Etats-providence peuvent gérer les changements qui toucheront leur financement ainsi que sur la façon dont les politiques en matière de marché du travail peuvent apporter une réponse pour faire face aux profonds changements prévus. Le nombre d’heures que travailleront en moyenne les individus chaque année, et la mesure dans laquelle ce facteur pourrait faire baisser les taux de chômage à l’avenir, devra également faire l’objet de discussions.