Publiée depuis 1948, la revue International Social Security Review (ISSR) est la plus importante publication trimestrielle internationale en matière de sécurité sociale dans le monde.
L’essor de l’emploi informel est une réalité de plus en plus reconnue dans les pays du Sud comme dans ceux du Nord. Les emplois informels sont généralement précaires et mal rémunérés, et les travailleurs qui les occupent n’ont accès qu’à une protection sociale limitée, lorsqu’ils n’en sont pas totalement dépourvus. L’idée d’une rupture avec l’approche productiviste – qui fait du travail la voie d’accès à la protection sociale – au profit d’une approche universelle, fondée sur la notion de droits humains, est parfois préconisée. Cependant, cet article avance que l’ampleur et la croissance de l’économie informelle ne justifient pas d’abandonner certaines idées qui se trouvent au cœur des thèses productivistes. Parmi ces idées figurent l’importance accordée à l’établissement d’un lien entre travailleurs et capital, et la place octroyée aux services sociaux alors que le discours sur la protection sociale est actuellement dominé par les prestations en espèces. En outre, les thèses productivistes insistent sur la contribution économique des travailleurs informels, argument complémentaire de celui fondé sur les droits humains avancé en faveur de l’extension de la protection sur le lieu de travail à tous les travailleurs, quel que soit leur statut professionnel. En somme, l’opposition strictement binaire qui est parfois faite entre les approches reposant sur les droits humains et les arguments productivistes (ou instrumentalistes) n’est peut-être pas aussi nette que certains l’avancent.
La période récente a été marquée par une expansion importante des programmes de protection sociale dans le monde entier. Pourtant, un très grand nombre de personnes pauvres et vulnérables, notamment d’enfants, de femmes, de membres de minorités ethniques ou de personnes handicapées, sont encore dépourvues de protection, en particulier dans les pays à faible revenu. Cet article avance qu’une meilleure compréhension du principe d’égalité et de non-discrimination tel qu’il est défini dans le droit international relatif aux droits humains pourrait aider les professionnels et les décideurs à concevoir et mettre en œuvre des systèmes de protection sociale plus inclusifs. Le respect de ce principe fait également partie intégrante du Programme de développement durable à l’horizon 2030 et des normes de sécurité sociale de l’Organisation internationale du Travail. L’article commence par analyser la portée et le contenu du principe juridique d’égalité et de non-discrimination, en s’intéressant plus particulièrement aux critères généralement utilisés pour vérifier s’il est respecté. Il utilise ensuite ces critères comme des outils d’analyse pour évaluer comment et quand il peut y avoir une discrimination dans la mise en œuvre de programmes de protection sociale non contributifs. Enfin, il examine les difficultés rencontrées par les professionnels de la protection sociale pour appliquer le principe d’égalité et de non-discrimination aux programmes de protection sociale.
L’idée que la protection sociale doit être fondée sur la notion de droits est un principe normatif de la politique sociale transformative. Cela signifie que la politique sociale doit être universelle, en ce sens qu’elle constitue un droit ouvert de manière catégorielle à toutes les personnes qui se trouvent dans une situation définie ou à tous les citoyens ou encore, dans sa version la plus radicale, à tous les résidents, indépendamment de leur citoyenneté. Pour être transformative, la politique sociale doit aussi s’attaquer aux causes profondes des inégalités et des injustices sociales. Depuis peu, plusieurs approches inspirées de la notion de politique sociale universelle fondée sur les droits sont apparues dans certains pays d’Asie du Sud et du Sud-Est. Il semble donc qu’un «tournant social» se soit produit, en d’autres termes une évolution vers des idées et politiques qui donnent la priorité aux questions sociales. Dans les exemples analysés par l’article (Inde, Myanmar, Népal, Pakistan et Thaïlande), cette évolution vers une conception universelle, fondée sur les droits, des services et transferts sociaux a une origine politique et a eu lieu à la faveur de changements de gouvernement – le tournant est né d’une contestation. Actuellement, ces pays en subissent le contrecoup politique, le processus démocratique et la société civile étant gravement menacés. L’article entend défendre deux idées. Premièrement, la politique sociale transformative, fondée sur les droits, et le tournant social ne s’imposent jamais de manière automatique: ils sont toujours le fruit d’une contestation, qu’il s’agisse d’une contestation de l’électorat ou des groupes qui défendent ses intérêts, ou d’une compétition entre partis politiques. Deuxièmement, les droits acquis et les mouvements de transformation peuvent être réduits à néant. Face au retour en arrière actuellement observé sur la scène politique mondiale, il est important de défendre une politique sociale transformative, fondée sur les droits, et de lutter pour qu’elle s’impose.
En Amérique latine, les politiques de services à la personne font partie des priorités des pouvoirs publics. Si cette situation s’explique entre autres par les caractéristiques structurelles de la région, qui, comme tous les pays à revenu moyen, voit l’espérance de vie s’allonger et le taux d’activité des femmes augmenter, elle est aussi liée à une politisation des services à la personne, induite par une reconnaissance de ce que la répartition inégale de l’offre de services à la personne est un puissant vecteur d’inégalités entre hommes et femmes et d’inégalités de revenu. Les mouvements en faveur des droits des femmes ont également érigé cette problématique au rang de priorité, et les Etats ont, à des degrés divers, réalisé des progrès en ce qui concerne la mise en œuvre de politiques de services à la personne, s’appuyant à cette fin sur un ambitieux programme de promotion de l’égalité entre les genres, qui repose lui-même sur une conception de la protection sociale fondée sur les droits humains. Cet article décrit les «systèmes de services à la personne» en place en Uruguay et au Costa Rica pour illustrer l’approche fondée sur les droits humains adoptée en la matière par l’Amérique latine. Il présente succinctement leur évolution politique et institutionnelle, ainsi que les principales caractéristiques du cadre juridique sur lequel ils reposent. Il s’attarde en particulier sur les acteurs qui se sont mobilisés pour les soutenir et, finalement, les concevoir. Il identifie également les dimensions que retiennent les autres pays lorsqu’ils cherchent à les reproduire et à les adapter pour créer leurs propres «systèmes de services à la personne» sur la base d’une approche fondée sur les droits humains. En conclusion, l’article recense les obstacles auxquels se heurte la mise en œuvre de ces systèmes.
La protection sociale est indispensable pour que le développement social et économique profite à tous, en particulier aux populations confrontées à la pauvreté et à l’exclusion sociale. Les programmes de protection sociale peuvent jouer un rôle déterminant dans la réduction et la prévention de la pauvreté et de la précarité et favoriser ainsi le bien-être des populations. Ils peuvent également accroître la productivité et l’employabilité des individus et améliorer leur situation économique en leur offrant davantage de possibilités de se procurer un revenu. De surcroît, la protection sociale peut favoriser la participation et l’inclusion sociale en garantissant un accès effectif à l’alimentation, aux soins de santé, à l’éducation et à des services d’accompagnement. En conséquence, des programmes de protection sociale bien conçus sont susceptibles d’aider directement les personnes handicapées à mieux exercer leurs droits. Malheureusement, dans leur conception traditionnelle, les dispositifs de protection sociale en faveur des personnes handicapées suivent jusqu’à présent une orientation inverse, parce qu’ils privilégient les dimensions caritative et médicale. De ce fait, pendant trop longtemps, beaucoup de systèmes nationaux de protection sociale ont promu un traitement des personnes handicapées fondé sur le paternalisme, la dépendance, la ségrégation et l’institutionnalisation, limitant les possibilités qu’avaient ces personnes de mener une vie indépendante dans leur propre environnement. La Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées remet cette vision en cause et cherche à promouvoir des systèmes de protection sociale qui favorisent l’intégration des personnes handicapées, promeuvent la citoyenneté active, l’inclusion sociale et la participation à la vie de la collectivité. La Convention appelle les Etats parties à garantir aux personnes handicapées l’égalité d’accès aux programmes et services de protection sociale destinés à l’ensemble de la population, ainsi qu’un accès à des programmes et services spécifiquement conçus en fonction des besoins et dépenses liés au handicap, par exemple des services d’accompagnement. Dans ce contexte, l’article examine pourquoi et comment les Etats et autres parties prenantes doivent veiller à la mise en place de systèmes de protection sociale favorisant l’intégration des personnes handicapées, conformément à la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées.
La Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée en 1948 par les Nations Unies fait de la sécurité sociale un droit humain inaliénable. La concrétisation de ce droit est souvent perçue comme une simple question de volonté politique et de capacité administrative. De ce point de vue, sa mise en œuvre progressive peut être analysée comme le résultat d’un processus administratif et politique doté de ressources suffisantes. Or, cette conception est à l’évidence inadaptée. En règle générale, les administrations sont conçues pour répondre aux besoins de tous, sur la base de procédures et de services uniformes, élaborés pour le «citoyen type». Cette approche est souvent dépourvue de la souplesse et des ressources qui seraient nécessaires pour mettre en œuvre une démarche individualisée, tenant compte des spécificités et des besoins de chacun. Les administrations de sécurité sociale ont un rôle décisif à jouer pour que l’engagement international consistant à instaurer une couverture universelle de la sécurité sociale devienne réalité. Cependant, aussi important que soit ce rôle, les efforts déployés pour que cet engagement se concrétise ne permettront pas de donner pleinement corps à ce que recouvre la notion de droit humain à la sécurité sociale s’ils ne respectent pas les différences individuelles. C’est pourquoi ce numéro spécial cherche à démontrer que l’objectif qu’est l’instauration d’une couverture universelle doit aussi impérativement respecter et prendre en compte les besoins individuels.