La protection sociale et l’économie des plateformes: l’approche surprenante du législateur français
En 2016 puis en 2019, le législateur français a abordé la question de la protection sociale des travailleurs des plateformes en intégrant ces travailleurs au régime général de la sécurité sociale en ce qui concerne la couverture de certains risques (accident du travail et maladie professionnelle) et en améliorant l’adéquation des prestations (à travers une possibilité d’accès à une couverture complémentaire). Ces initiatives reposent toutefois sur des approches radicalement opposées. Au lieu de réaffirmer la responsabilité juridique de l’employeur à l’égard de la santé et de la sécurité des travailleurs, il a décidé que cette responsabilité devait être assumée par la plateforme, mais sur une base facultative seulement, dans le cadre de la responsabilité sociale d’entreprise. Cette approche risque de fragmenter les prestations sociales, dont la définition incombe à chaque plateforme, et d’affaiblir ainsi les notions de protection mutuelle et de mutualisation des risques entre entreprises et travailleurs, lesquelles sont au cœur de la sécurité sociale. Ce faisant, le législateur a rompu le lien qui avait pour objectif historique l’inclusion sociale et a, pour diverses raisons, encouragé la privatisation ou la remarchandisation de la sécurité sociale, servant ainsi les intérêts commerciaux des compagnies d’assurance privées. De surcroît, il l’a fait en utilisant le code du travail comme un cheval de Troie. Il a pris le contrepied d’organisations internationales telles que les institutions de l’Union européenne, l’Organisation internationale du Travail et l’Organisation de coopération et de développement économiques, qui recommandent toutes aux États de créer un droit à la protection sociale pour tous les travailleurs atypiques et non salariés. Au lieu de repérer les difficultés communes à tous les travailleurs des plateformes et de leur apporter une réponse spécifiquement adaptée à leur situation, le législateur a considéré que le travail des plateformes n’était qu’une nouvelle forme de travail atypique parmi d’autres, exercée par des individus pouvant avoir soit le statut de salarié soit le statut de travailleur indépendant.