Les institutions de sécurité sociale sont contraintes d’innover pour améliorer en permanence leur fonctionnement et la fourniture des services. Il incombe à leurs dirigeants de définir un niveau d’ambition adapté.
Les institutions de sécurité sociale ont vocation à servir d’indispensables prestations en veillant à verser au bon moment le bon montant aux personnes qui peuvent réellement y prétendre. Elles s’efforcent donc de fournir des services de qualité avec efficience et en prenant le moins de risques possible. Le meilleur moyen de remplir cette mission consiste à privilégier la stabilité, à assurer une gestion rigoureuse et à éviter l’incertitude. De ce point de vue, l’innovation peut les contraindre à sortir de leur zone de confort. Toutefois, dans un contexte de turbulence comme le contexte actuel, fait d’instabilité, d’incertitude, de complexité et d’ambiguïté (volatility, uncertainty, complexity, and ambiguity – VUCA) (Bennet et Lemoine, 2014), les institutions de sécurité sociale qui n’ont pas la capacité d’évoluer et de se transformer sont exposées à des risques considérables. Le risque ne peut pas disparaître par enchantement, et l’innovation est incontournable. Tout l’enjeu est en réalité de trouver le juste équilibre entre la transformation nécessaire et le risque.
L’analyse présentée ici porte sur le rôle des dirigeants dans l’innovation, de même que sur les motivations et le périmètre de l’innovation dans le domaine de la sécurité sociale. Elle s’appuie sur des discussions qui ont eu lieu avec des responsables de l’innovation, de la recherche, de la planification, du développement ou de la transformation des organisations au cours de tables rondes et de webinaires réunissant des dirigeants, organisés par l’Association internationale de la sécurité sociale (AISS) depuis 2021 (voir l’encadré à la fin de l’article).
Un premier article, consacré à la collaboration au service de l’innovation en sécurité sociale, a été publié en février 2023 (AISS, 2023), en lien avec la plateforme d’innovation collaborative de l’AISS. D’autres suivront et porteront sur la préparation des institutions et les facteurs culturels propices à l’innovation.
Origines, nature et moteur de l’innovation
Motivations de l’innovation et rôle des dirigeants
Les dirigeants jouent un rôle de catalyseur de l’innovation (Keeley et al., 2013), et la direction générale doit donner l’impulsion nécessaire pour que l’institution innove en permanence (AISS, 2019). Les institutions qui ont un bon bilan en matière d’innovation sont celles dont la direction a une vision et fixe le niveau d’ambition à atteindre en ce qui concerne le changement. Définir ce niveau suppose de trouver le juste milieu entre audace et pragmatisme. Les dirigeants doivent faire connaître aux parties prenantes les intentions et aspirations de l’institution en matière d’innovation et fixer le cap. Ils doivent en outre les motiver, aider à surmonter l’inertie institutionnelle (y compris celle due au cloisonnement fonctionnel) et entretenir la dynamique durant le processus de transformation (Kegan et Lahey, 2009). Ils soutiennent le changement et créent les conditions qui permettront aux salariés de prendre des risques acceptables. Ils y parviennent en générant un climat sécurisant d’un point de vue psychologique et en faisant savoir au personnel qu’il est légitime qu’il investisse du temps et des ressources institutionnelles dans l’innovation, ainsi qu’en mettant à l’honneur et en récompensant les efforts qu’il déploie. Ils stimulent la créativité en déléguant leur pouvoir en matière d’innovation aux responsables métier. Les dirigeants veillent à la cohérence entre la dimension stratégique et la dimension organisationnelle, de même qu’à la discipline, en faisant en sorte que les propriétaires d’une innovation aient à rendre compte de leurs résultats (Ross, Beath et Moker, 2019). Ils fournissent également les ressources et veillent à la rentabilité des investissements dans l’innovation. Enfin, une communication ascendante et descendante fluide permet une résolution rapide des problèmes (comme ceux liés aux limites imposées par le cadre juridique, à la fragmentation des politiques publiques ou encore à l’insuffisance des ressources).
Leadership assuré par le gouvernement
Dans beaucoup de pays, ce sont les ministères qui sont à l’origine de la motivation à innover et du soutien à l’innovation dans le domaine de la sécurité sociale. Les innovations sont ensuite mises en œuvre en collaboration avec les institutions de sécurité sociale.
En Hongrie, le système de santé est organisé autour d’une caisse d’assurance maladie unique, qui couvre la quasi-totalité de la population. Les listes d’attente pour accéder à l’hôpital sont gérées par les prestataires de soins sous l’autorité de la Gestion du Fonds national d’assurance maladie. L’inquiétude du ministère de tutelle de cette institution face à des délais d’accès aux soins trop longs a motivé la création d’un registre en ligne dénommé Liste d’attente institutionnelle nationale (système SOR_REND). Le système, relié aux prestataires de soins, contrôle en temps réel la disponibilité de soins spécialisés et oriente les patients vers les prestataires de soins disponibles. Chaque patient peut voir où en est la liste d’attente et accéder à la liste des rendez-vous dans le registre en ligne. Depuis 2012, ce système a fortement contribué à réduire les listes d’attente.
Au Brésil, l’Institut national de sécurité sociale (Instituto Nacional do Seguro Social – INSS) est chargé du versement des prestations de retraite, de décès, de maladie, d’invalidité et d’autres prestations en vertu de la loi sur la sécurité sociale. Depuis 2019, son interface utilisateurs s’est radicalement transformée. Un plan de modernisation interministériel lancé à l’initiative du Secrétariat d’État à la numérisation et à la modernisation de l’administration a accéléré l’innovation (Sikkut, 2022). À partir de 2019, la transformation de la sécurité sociale est devenue une priorité politique parce que l’explosion de la demande de services et l’insuffisance des effectifs s’étaient traduites par des délais de traitement trop longs (AISS, 2020). Dans le cadre de ce processus, le conseil de l’INSS et l’équipe de direction ont joué un rôle plus actif pour ériger au rang de priorité les investissements dans la modernisation. Cet engagement du plus haut niveau de la hiérarchie a renforcé la cohérence et la viabilité des efforts de modernisation de l’INSS, comme expliqué à l’occasion d’un webinaire de l’AISS intitulé Innovation en matière de sécurité sociale – Expériences institutionnelles et plateforme d’innovation collaborative de l’AISS, organisé en avril 2023.
L’Office national d’assurance sociale d’Estonie (Estonian National Social Insurance Board – ENSIB) est un organisme public placé sous la tutelle du ministère des Affaires sociales et chargé de l’administration et de la mise en œuvre de la législation sur la sécurité sociale et la protection sociale. L’Estonie est un pays très avancé sur le plan de la numérisation, et son gouvernement a une approche centralisée de l’innovation numérique. Le projet dénommé «Offre de services proactive pour les personnes handicapées» a été mené à bien en 2020. La dématérialisation de la procédure de demande de prestations d’invalidité avait pour but de réduire les dépenses de personnel (l’examen des demandes exigeait en effet beaucoup de temps de la part des médecins). Pour mettre en œuvre ce projet, l’ENSIB a profité des mesures prises par le Cabinet du gouvernement et le service de l’innovation du ministère des Affaires sociales. Par ailleurs, les acteurs qui ont pris part à la transformation numérique ont insisté sur le fait que la cheffe de projet avait contribué au succès de certaines innovations parce qu’elle avait mis ses compétences en leadership au service de l’innovation collaborative (Nõmmik et Lember, 2021).
Leadership des institutions de sécurité sociale
Dans certains cas, ce sont les équipes de direction des institutions de sécurité sociale qui sont à l’origine de l’innovation et qui permettent à l’institution de se doter des capacités systémiques nécessaires pour innover.
Le Conseil de la sécurité sociale du Rwanda (Rwanda Social Security Board – RSSB) est un organisme public qui gère six régimes de sécurité sociale – les pensions, les risques professionnels, les soins de santé, les indemnités de maternité, l’assurance maladie communautaire et un régime d’épargne de longue durée. Ce régime d’épargne, qui s’adresse aux travailleurs de l’économie informelle, a été créé à l’initiative du ministère des Finances et mis en œuvre par le RSSB. Comme expliqué durant le webinaire de présentation de la plateforme d’innovation collaborative de l’AISS, en février 2023, la direction de l’institution a énoncé une vision forte, ambitionnant de transformer le RSSB en une organisation centrée sur ses membres et reposant sur les données à l’horizon 2025. Pour que cette ambition se concrétise, l’institution réforme actuellement en profondeur sa gouvernance et son organigramme en veillant à ce que les membres de la direction et du conseil soient en phase avec ses stratégies d’innovation (voir AISS, 2019). Elle cherche également à renforcer son pouvoir en matière d’achats et de ressources humaines.
L’Organisation de la sécurité sociale (Pertubuhan Keselamatan Sosial – PERKESO) de Malaisie est un organisme légal placé sous l’autorité du ministère des Ressources humaines. Elle verse des prestations aux salariés du secteur privé en cas d’accident du travail, d’urgence, de maladie professionnelle et de décès. Les représentants des entreprises qui siègent dans son conseil d’administration l’ont incitée à moderniser ses services pour continuer de répondre aux besoins de ses usagers. Il en a résulté une réforme de son infrastructure et de ses capacités en matière d’innovation (Yapp, 2021). La PERKESO disposait déjà d’une certaine autonomie de gestion, pouvant par exemple définir son système de rémunération, ce qui a grandement facilité le recrutement des talents dont elle avait besoin pour mener à bien sa stratégie de modernisation, comme expliqué lors du webinaire de l’AISS organisé en février 2023.
La Caisse colombienne d’allocations familiales (Caja Colombiana de Subsidio Familiar – COLSUBSIDIO) a été reconnue comme l’une des institutions les plus innovantes du pays. Elle sert aux familles des allocations familiales et des prestations complémentaires en espèces et en nature dans de nombreux domaines – services de santé, logement, éducation, culture et sport. En 2015, sa direction a œuvré pour qu’elle se dote d’un système d’innovation structuré en investissant dans les ressources humaines, les processus et l’infrastructure. Elle a créé un centre d’innovation chargé de promouvoir l’instauration d’une culture de l’innovation et l’a doté de ressources spécifiques. COLSUBSIDIO part du principe qu’il existe différents types d’innovation, ce qui suppose différents styles de leadership. Son centre d’innovation a pour mission, entre autres, d’inciter les dirigeants à consacrer plus de temps à des activités tournées vers l’avenir. Il fait appel à un modèle reposant sur des horizons d’innovation, décrit plus loin. COLSUBSIDIO a présenté cette pratique lors du webinaire organisé en avril 2023.
Définition de l’innovation et types d’innovation
Le potentiel d’innovation existant dans le domaine de la sécurité sociale dépend de l’éventail des risques couverts, de la taille de la population couverte, de la diversité et de la pertinence des modalités de fourniture des services, ainsi que de la complexité de l’organisation du système et de ses processus opérationnels. Keeley et al. (2013) ont défini dix types d’innovation, répartis dans trois grands domaines (voir également Deloitte, 2023): configuration (modèle d’exploitation ou modèle économique), offre (produits ou services essentiels) et expérience (éléments visibles par le client).
Graphique 1. Types et domaines d’innovation
Configuration
Offre
Expérience
Source: D’après Keeley et al. (2013).
Alors que l’innovation est souvent associée à l’offre de produits et à la performance des produits, la plupart des initiatives relevant de l’innovation de transformation résultent de la combinaison des trois axes décrits ci-dessus. Les exemples suivants illustrent différents types d’innovation.
Configuration | Offre | Expérience | |
---|---|---|---|
RSSB – Rwanda IMIsanzu, plateforme pour les cotisations |
Service | Canaux Engagement des clients |
|
PERKESO – Malaisie Service d’indemnisation des accidents du travail en urgence, sans dépôt de demande |
Réseau Processus |
Système de produits | Canaux Engagement des clients |
ENSIB – Estonia Automation of disability application |
Réseau Processus |
Système de produits | Canaux Engagement des clients |
Source: AISS. |
En janvier 2023, le RSSB, au Rwanda, a lancé IMIsanzu, une plateforme numérique qui permet de connaître les cotisations versées par les usagers. Cette initiative est particulièrement importante pour encourager les travailleurs de l’économie informelle à continuer de verser des cotisations aussi bien à leur caisse de retraite qu’à leur caisse d’assurance maladie, parce qu’ils cotisent souvent de manière irrégulière. Grâce à la plateforme, ils peuvent connaître les cotisations qu’ils ont accumulées et qui sont prises en compte pour l’acquisition de droits, ce qui leur permet de reprendre les paiements. Des associations représentant l’économie informelle et des organisations non gouvernementales (ONG) ont été associées à la conception du service.
En Malaisie, la PERKESO a relié ses systèmes aux professionnels de santé pour dispenser les personnes victimes d’un accident de l’obligation de déposer une demande d’indemnisation. Dans une situation d’urgence, il est possible de vérifier que les droits aux prestations d’accident du travail et de réadaptation sont ouverts en demandant à un membre de l’équipe médicale de présenter la carte d’identification nationale des victimes. La mise en place de ce dispositif a nécessité l’établissement de partenariats avec divers acteurs intervenant dans le domaine des services d’urgence.
En Estonie, l’ENSIB a conçu le projet «Offre de services proactive pour les personnes handicapées», décrit plus haut. La chambre estonienne des personnes handicapées a aidé à conduire des entretiens auprès du groupe cible.
Il est également possible de distinguer différents types d’innovation selon que l’innovation vise uniquement à améliorer l’efficience (horizon 1, initiatives visant les activités essentielles) et concerne principalement la performance des produits et les processus opérationnels, ou qu’elle consiste à déployer plus largement des mesures testées (horizon 2, initiatives adjacentes concernant des produits ou systèmes) ou encore à mener des activités exploratoires (horizon 3, innovation de transformation impliquant d’autres éléments de la configuration et de l’expérience client). Le graphique suivant illustre ces trois horizons.
Graphique 2. Matrice «ambition de l’innovation»
Source: Nagji et Tuff (2012).
En Colombie, COLSUBSIDIO a adopté une définition simple mais large de l’innovation, qui englobe l’ensemble de son portefeuille d’activités et les fonctions support. Les innovations doivent donc être compatibles avec la stratégie institutionnelle et doivent avoir un impact et une valeur ajoutée pour les usagers (par exemple, il doit être démontré qu’elles améliorent la couverture ou l’offre de services). Conformément au modèle décrit ci-dessus, l’institution fait la différence entre:
- les innovations qui apportent des modifications incrémentales aux activités essentielles et améliorent l’efficience de la production et de la fourniture de produits et services existants;
- les améliorations marginales des produits et services visant à offrir une meilleure protection et une expérience utilisateur plus satisfaisante; et
- les innovations de transformation, qui peuvent avoir une incidence sur la création de valeur dans son ensemble et sur le modèle économique de l’institution.
À l’INSS, au Brésil, l’innovation a commencé par la mise en place d’interfaces numériques pour les usagers et elle se traduit par l’automatisation des processus métier (AISS, 2020). Désormais, les nouveaux services sont conçus et lancés selon une approche qui privilégie le numérique. La PERKESO, en Malaisie, a opté pour une autre stratégie. Ayant récemment franchi d’importantes étapes dans la migration de la gestion de ses principales opérations vers un système de gestion reposant sur une architecture modulaire ouverte, elle définit maintenant l’innovation comme la recherche de solutions pratiques aux problèmes rencontrés par les usagers et la production de changements concrets. Les solutions innovantes doivent être évolutives et efficientes. Elles ne doivent pas seulement consister en produits numériques et doivent contribuer à humaniser les relations entre la sécurité sociale et les acteurs sociaux.
Au Rwanda, le RSSB aborde la transformation sous un angle global, incluant la transformation des services et processus essentiels et les aspects liés à la gouvernance et à la gestion.
En France, l’Union des caisses nationales de sécurité sociale (UCANSS), une fédération au service de toutes les branches de la sécurité sociale, a créé un laboratoire d’innovation qui accompagne les processus de transformation internes. Quant aux centres d’innovation des différentes branches de la sécurité sociale, ils se concentrent sur la création de produits et services spécifiques.
Bien que le périmètre de l’innovation dépende aussi du niveau de développement et de maturité de la sécurité sociale dans chaque pays (les activités relevant de l’horizon 1 sont dominantes dans les nouveaux systèmes de sécurité sociale), en réalité, les différents types d’initiatives ont tendance à se chevaucher, les innovations qui prennent la forme de nouveaux produits et services étant expérimentées et testées tandis que, au même moment, des améliorations sont apportées aux systèmes essentiels. Compte tenu de l’apparition de systèmes hébergés dans le cloud ayant une incidence sur la gestion des fonctions essentielles des organisations et de la transition vers des services numériques et mobiles dès leur conception, il est nécessaire de continuer à apporter des innovations aux systèmes essentiels, même dans les institutions de sécurité sociale matures. Les innovations au niveau de la gouvernance et de la gestion sur lesquelles reposent les transformations mises en œuvre au RSSB sont moins visibles et sont plus difficiles à déployer dans les institutions de sécurité sociale parce qu’elles bousculent leur inertie naturelle, due à des systèmes hiérarchiques verticaux et à une aversion au risque (Magnusson, Päivärinta et Koutsikouri, 2021).
Nature de l’innovation et styles de leadership
Dans le domaine de la sécurité sociale, le périmètre et la signification de l’innovation varient selon le contexte et les spécificités de chaque institution. Chaque type d’innovation requiert un style de leadership particulier. Le tableau ci-après présente le style de leadership associé aux différents horizons d’innovation.
Tableau 2. Styles de leadership selon l’horizon d’innovation
Horizon 1 | Horizon 2 | Horizon 3 | |
---|---|---|---|
Horizon temporel | Un à deux ans | Deux à quatre ans | Cinq ans et plus |
Usagers | Usagers actuels | Personnes repérées comme n’utilisant pas le produit ou service | Usagers inconnus |
Produits, services ou processus | Existants | Solutions émergentes | Produits, services ou processus totalement nouveaux |
Nature des innovations | Améliorations | Expansion | Exploration |
Objectifs des activités |
|
L’objectif est de créer de nouveaux modèles économiques, impliquant de nouvelles solutions et la croissance des produits et domaines d’activité | Création de nouveaux concepts susceptibles d’être convertis en initiatives de croissance (dans l’horizon 2) |
Type de dirigeant | Exécutant | Entrepreneur | Visionnaire |
Caractéristiques des dirigeants |
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Talents ou compétences |
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Source: D’après Wharton Business School (2023). |
Les systèmes d’automatisation reposant sur les données qui améliorent la sécurité et la performance des services de base et permettent de réaliser des économies (AISS, 2022) sont un exemple d’innovation exigeant le style de leadership associé à l’horizon 1 (améliorations incrémentales des activités de base). La Caisse publique d’assurance sociale de la République de Lituanie (State Social Insurance Fund Board of the Republic of Lithuania – SSIFB) offre un exemple de leadership caractéristique de l’horizon 2. Pour déployer l’automatisation des tâches à grande échelle, elle a mis en œuvre un programme visant à faire monter en compétences le personnel d’arrière-guichet. Ce programme s’adressait au personnel qui était affecté depuis quinze ans à l’instruction des demandes de prestations. Les dirigeants ont dû persuader ces agents d’acquérir de nouvelles compétences en tant qu’utilisateurs bêta (agents chargés de tester de nouvelles solutions). Le personnel a dû se former au langage SQL et apprendre à tester des solutions. Il a fallu le convaincre des avantages individuels et collectifs de la numérisation et surmonter ses résistances et ses craintes. Enfin, pour illustrer l’innovation relevant de l’horizon 3, on peut citer le fait d’investir dans la «pile numérique», depuis les logiciels connectés jusqu’aux nouvelles plateformes numériques, de manière à permettre le partage de données. C’est ce qu’a fait l’Assurance pension allemande – Agence fédérale (Deutsche Rentenversicherung Bund – DRV-Bund), par exemple. Elle a lancé ce type de projet en 2020 et entend le mener à bien au cours des dix années à venir. Les dirigeants de l’institution devront avancer des arguments pour justifier la réalisation des investissements nécessaires en mettant en avant les réductions de coûts sur lesquels ils déboucheront et en défendant l’idée qu’une sécurité sociale fondée sur les données numériques est un atout essentiel pour l’écosystème décisionnel de l’administration.
Les institutions et leurs dirigeants privilégient le plus souvent les horizons 1 et 2 (déploiement à plus grande échelle de solutions éprouvées). Pour s’engager dans une innovation plus transformatrice, les dirigeants de la sécurité sociale devraient consacrer beaucoup plus de temps et d’énergie à préparer leurs institutions à affronter l’avenir (Magnusson, Päivärinta et Koutsikouri, 2021). Pour accompagner ce processus, COLSUBSIDIO définit des indicateurs de performance individuels en lien avec l’innovation. Parmi ces indicateurs figurent par exemple un nombre minimum d’initiatives à mettre en œuvre chaque année, le nombre de travailleurs participant à des initiatives et processus d’innovation chaque année et des objectifs pour la formation du personnel. Pour améliorer les performances en matière d’innovation, l’institution joue également sur des leviers sociaux comme la réputation (ou marque) de COLSUBSIDIO en tant qu’organisation innovante. Elle reconnaît les contributions du personnel aux pratiques innovantes à travers des prix et distinctions pour l’innovation. Toutes ces stratégies motivent le personnel et l’encouragent à cocréer et à continuer d’innover.
Conclusions
Dans le domaine de la sécurité sociale, l’innovation ne se borne pas à la recherche de gains d’efficience dans les processus essentiels. Bien souvent, les initiatives innovantes visant l’excellence opérationnelle s’accompagnent d’autres formes d’innovation, qui transforment plus radicalement la façon dont les institutions de sécurité sociale fournissent leurs services et agissent dans l’intérêt de leurs usagers.
Les membres de l’AISS ont élaboré plusieurs stratégies d’innovation et styles ou modèles de leadership. Toutes ces stratégies confirment le rôle central des dirigeants dans le lancement et la mise en œuvre de projets innovants.
Il leur faut concilier la créativité, associée à la divergence, à l’ambiguïté et au risque, et la recherche de l’excellence opérationnelle, associée à la discipline et à la réduction du risque d’exécution (Magnusson, Päivärinta et Koutsikouri, 2021). Autrement dit, il s’agit d’œuvrer pour que le processus décisionnel soit de plus en plus précis et rigoureux grâce à l’utilisation d’outils et processus fondés sur les données et à l’analyse de données, tout en faisant appel à des méthodes reposant sur la pensée critique et le design thinking pour résoudre des problèmes plus complexes et entourés d’incertitude (AISS, 2022). Il faut à cette fin que l’innovation soit favorisée par un ensemble de moyens institutionnels bien intégrés.
Événements sur l’innovation enregistrés
Références
AISS. 2019. «Ligne directrice 24. Leadership et innovation dans l’institution», dans Lignes directrices de l’AISS en matière de bonne gouvernance. Genève, Association internationale de la sécurité sociale.
AISS. 2020. Alliance de l’humain et du numérique pour la sécurité sociale dans les Amériques. Genève, Association internationale de la sécurité sociale.
AISS. 2022. Innovations axées sur les données dans le domaine de la sécurité sociale: bonnes pratiques de la région Asie et Pacifique. Genève, Association internationale de la sécurité sociale.
AISS. 2023. La collaboration au service de l’innovation en sécurité sociale: expériences des membres de l’AISS. Genève, Association internationale de la sécurité sociale.
Bennet, N; Lemoine, G. J. 2014. «What VUCA really means for you», dans Harvard Business Review, janvier–février.
Deloitte. 2023. Ten Types of Innovation. [S.l.].
Keeley, L. et al. 2013. Ten types of innovation, the discipline of building breakthroughs. Hoboken, NJ, Wiley.
Kegan, R.; Lahey; L. L. 2009. Immunity to change: How to overcome it and unlock the totential in yourself and your organization (Leadership for the Common Good). Cambridge, MA, Harvard Business Press.
Magnusson, J.; Päivärinta, T.; Koutsikouri, D. 2021. «Digital ambidexterity in the public sector: empirical evidence of a bias in balancing practices», dans Transforming Government: People, Process and Policy, vol 15, No 1.
Nagji, B.; Tuff, G. 2012. «Managing your innovation portfolio», in Harvard Business Review, mai.
Nõmmik, S.; Lember, V. 2021. Proactive service provision for disabled people in Estonia. Bergen: Tropico project.
Ross, J. W.; Beath, C. M.; Mocker, M. 2019. Designed for digital: How to architect your business for sustained success. Cambridge, MA, MIT Press.
Sikkut, S. 2022. Digital government excellence: Lessons from effective digital leaders. Hoboken, NJ, Wiley.
Wharton Business School. 2023. Driving strategic innovation: Leading complex initiative for impact. Philadelphia, PA.
Yapp, E. 2021. «How Malaysia’s social security fund modernized itself», dans CIO, 5 septembre.