Les systèmes de sécurité sociale de la région Europe ont fait la preuve de leur capacité à promouvoir une croissance inclusive et à favoriser la cohésion sociale. Aux côtés de l’assurance sociale des travailleurs, des systèmes sont généralement mis en place pour lutter contre la pauvreté monétaire et ses causes profondes à travers des transferts de revenu financés par l’impôt et des mécanismes d’aide sociale. La protection sociale est d’abord envisagée sous l’angle du parcours de vie, en particulier s’agissant des systèmes complets existant dans la région. En Europe, en règle générale, elle atténue les risques qui surviennent de la naissance au début de la vie active, puis au travail et pendant les périodes de chômage, en cas d’incapacité de travail ou lorsqu’il n’est plus possible de travailler.
La plupart des programmes contributifs et non contributifs que compte la région sont bien établis. Avant la pandémie de COVID‑19, les dépenses sociales (hors santé) s’établissaient à environ 16,5 pour cent du PIB (BIT, 2017). Elles ont augmenté sous l’effet des mesures prises face à la pandémie – création de nouvelles prestations en faveur des travailleurs, des personnes à leur charge et des groupes vulnérables; subventions salariales et augmentation du montant des prestations (BIT, 2021a).
Les systèmes de sécurité sociale européens ont des défis à relever. Ils doivent notamment rechercher le meilleur moyen de parfaire l’adéquation des prestations, d’assurer la viabilité financière des régimes et d’améliorer le niveau et la portée de la couverture. Le travail informel, la pauvreté et les inégalités en général appellent des réponses conçues sur mesure, également nécessaires pour répondre aux besoins de tous les publics vulnérables.
Les conséquences sanitaires et socio-économiques de la pandémie viennent compliquer un environnement portant l’empreinte de la mondialisation, du vieillissement démographique, du changement climatique, du progrès technologique et de la transformation des marchés du travail. Les institutions de sécurité sociale de la région, qui sont des partenaires fiables sur lesquels les pouvoirs publics peuvent s’appuyer pour favoriser le développement et la reprise économiques, parviennent à relever le défi qui consiste à garantir une croissance inclusive et à favoriser la cohésion sociale.
Messages clés
- Le concept d’autonomisation économique – en d’autres termes le fait de donner aux individus le pouvoir de satisfaire eux-mêmes leurs besoins et leur aspiration au bien-être – est au coeur de toute définition de l’inclusion et de la cohésion sociale. C’est en permettant d’accéder à l’autonomie économique que la sécurité sociale ouvre des voies vers une croissance inclusive et la cohésion sociale. Elle y parvient à la fois à travers ses effets sur la demande et à travers ses effets sur l’offre.
- La sécurité sociale fait partie des principaux leviers au service de l’inclusion et de la cohésion sociale. Pour qu’elle remplisse ce rôle, il est important de créer des synergies entre les différentes politiques. L’exemple de Malte et celui de l’Irlande témoignent des gains d’efficience découlant d’une coordination efficace entre différents organismes et partenaires sociaux ou de leur regroupement.
- Envisager la sécurité sociale sous l’angle du parcours de vie permet aux individus de développer en permanence leurs capacités à accéder à une meilleure situation financière et à une plus grande mobilité sociale. Mettre fin à la pauvreté intergénérationnelle est un moyen de remédier aux vulnérabilités, depuis la petite enfance jusqu’à la vieillesse, en passant par l’enfance, la jeunesse et la vie active.
- Les jeunes ont de multiples obstacles à surmonter lorsqu’ils passent de la scolarité à la vie active. La crise économique provoquée par la pandémie a accru la pénurie d’emplois. La mise en oeuvre de politiques actives du marché du travail et de l’emploi est indispensable pour faciliter la recherche d’emploi et l’accès à un travail décent.
- L’économie des plateformes numériques offre davantage de débouchés professionnels aux jeunes. Toutefois, les conflits au sujet du statut juridique des travailleurs de plateformes constituent un problème qui peut empêcher ces travailleurs d’exercer pleinement leurs droits à la SST et à la sécurité sociale.
- Les accords internationaux de sécurité sociale permettent aux travailleurs migrants et à leur famille d’accéder aux droits. Certains pays de la région ont décidé unilatéralement de protéger également ceux qui sont en situation irrégulière. Ces initiatives devraient s’accompagner de campagnes de communication et d’information, d’une part pour que les intéressés puissent accéder aux services sans craindre d’en subir les répercussions, et d’autre part pour que la population locale accepte ces mesures et les soutienne.
Faits et tendances
Sécurité sociale, inclusion et cohésion sociale
La puissance de la sécurité sociale en tant qu’instrument d’action pour favoriser le développement économique et une croissance inclusive tient à sa capacité à agir sur les deux côtés de l’économie. Son action sur la demande est immédiate et s’explique par l’effet multiplicateur sur le revenu des dépenses de sécurité sociale. Son impact sur l’offre n’est pas nécessairement immédiat car il est essentiellement constitué par le rendement des investissements d’un pays dans ses ressources humaines. L’investissement social réalisé pour faire sortir les individus de la pauvreté au moyen de l’éducation et du renforcement des capacités, par exemple, n’est parfois rentable qu’après un certain temps. Ses retombées peuvent toutefois être plus solides pour autant que les compétences acquises permettent ensuite d’accéder à une plus grande sécurité financière et à la mobilité sociale. En somme, que l’on se place du point de vue de l’offre ou de la demande, la sécurité sociale renforce l’autonomie.
Le concept d’autonomisation économique – en d’autres termes le fait de donner aux individus le pouvoir de satisfaire leurs besoins et leur aspiration au bien-être par eux-mêmes – est au coeur de toute définition de l’inclusion et de la cohésion sociale. En l’absence d’autonomie économique, il est difficile de se sentir inclus dans la société. Le fait de favoriser, de permettre et de soutenir le développement des capacités productives des personnes aux différentes étapes de leur vie constitue un investissement dans leur autonomie économique, laquelle ouvre des portes vers l’inclusion et la cohésion sociale.
Bien que la sécurité sociale ait pour socle des programmes contributifs classiques, reposant sur la relation employeur-salarié, elle comporte également des régimes non contributifs qui ont pour but de lutter contre la pauvreté et ses causes. S’il est reconnu de longue date que les programmes d’aide sociale visant à faire reculer la pauvreté sont un volet important de systèmes de sécurité sociale comportant plusieurs piliers, les paradigmes du développement actuels mettent aussi l’accent sur le fait qu’ils peuvent permettre d’échapper à la pauvreté, autrement dit de ne pas basculer de nouveau dans la pauvreté et, à terme, être un moyen de rompre le cercle vicieux qu’est la pauvreté intergénérationnelle.
Ce nouveau paradigme reconnaît, entre autres, que les difficultés présentes dès la naissance tendent à s’amplifier au cours de la vie, ce qui signifie qu’il faut s’attaquer aux inégalités et aux vulnérabilités dès le plus jeune âge. Les systèmes de protection sociale complets en place dans la région reflètent cette approche fondée sur le cycle de vie et ont pour but de protéger contre les risques identifiables aux différentes étapes de la vie, lesquelles correspondent à différents âges: la période prénatale, la petite enfance, l’enfance, l’adolescence et la jeunesse, la vie adulte (active) et la vieillesse.
Malgré de fortes disparités, le niveau effectif de couverture sociale (hors santé) dans la région est élevé, 83,9 pour cent de la population ayant accès à au moins une prestation sociale. De plus, deux personnes vulnérables sur trois sont couvertes par l’aide sociale – font partie des personnes vulnérables tous les enfants, tous les adultes non couverts par un régime contributif et toutes les personnes qui ont dépassé l’âge de la retraite mais ne perçoivent pas de pension contributive (BIT, 2017, pp. 175-180).
Comme expliqué ci-après, en Europe, diverses innovations mises en oeuvre dans le domaine de la sécurité sociale contribuent à améliorer l’inclusion des enfants, des jeunes, des travailleurs migrants, des travailleurs du secteur informel et des adultes en âge de travailler.
Investir dans l’avenir des enfants vulnérables
Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), pour mettre un terme à la pauvreté intergénérationnelle, il faudrait que les stratégies publiques visant à favoriser le bien-être des enfants accordent la priorité aux besoins des enfants vulnérables et leur permettent de surmonter les difficultés qui les pénalisent dès le début de leur vie. La vulnérabilité des enfants a de multiples causes, qui peuvent être liées à des facteurs individuels (handicap, problèmes de santé mentale, immigration, maltraitance, instabilité du logement), familiaux (dénuement matériel, compétences parentales, niveau d’instruction des parents, tensions et violences familiales) ou à des facteurs sociaux liés à l’école et à l’environnement où vit l’enfant (OCDE, 2019a, pp. 19‑22). Selon l’OCDE, si rien n’est fait pour y remédier, il faut quatre à cinq générations – soit jusqu’à 150 années – pour qu’un enfant né dans une famille modeste soit en mesure de gagner le revenu moyen qui a cours dans son pays (OCDE, 2019b).
Pour accroître les chances des enfants vulnérables, il est essentiel d’améliorer les résultats de l’éducation (OCDE, 2019a). À titre d’exemple, en Écosse, depuis 2014, les enfants âgés de 2 à 4 ans issus de milieux défavorisés peuvent accéder gratuitement à des services d’éducation et d’accueil des jeunes enfants à raison de 16 heures par semaine (600 heures par an) en plus des quelque 12 heures gratuites accordées normalement. Aux Pays-Bas, des programmes ciblant les enfants de 3 à 4 ans issus de familles défavorisées sont proposés dans les crèches et les garderies. En Norvège, le taux de fréquentation des structures d’éducation et d’accueil des jeunes enfants a augmenté après l’introduction d’une série de mesures incitatives en faveur des familles défavorisées – plafonnement du coût annuel à hauteur de 6 pour cent du revenu du ménage, par exemple (OCDE, 2019a).
En France, la Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF) aide les familles de réfugiés à s’intégrer et à surmonter les barrières culturelles en leur permettant d’accéder à des structures d’accueil pour les enfants d’âge préscolaire, à des structures d’accueil périscolaire pour les enfants scolarisés, à des centres socioculturels et à des services de soutien parental. Par ailleurs, la CNAF a récemment créé un nouveau site Web, «Parcours naissance – accompagnement des futurs et jeunes parents», qui permet d’obtenir toutes les informations relatives aux prestations et services auxquels les futurs parents peuvent prétendre à partir du troisième mois de grossesse et jusqu’au troisième anniversaire de l’enfant. Pour simplifier les démarches administratives, le site est coordonné entre tous les acteurs de la protection sociale française concernés, à savoir la Caisse d’allocations familiales, la Caisse primaire d’assurance maladie et Pôle emploi.
Au Kazakhstan, la Caisse publique d’assurance sociale (State Social Insurance Fund – SSIF) exploite le programme gouvernemental «Kazakhstan numérique» pour informer les membres en amont (plutôt qu’a posteriori) sur les services de garde d’enfants, les prestations de maternité, les prestations versées en cas d’adoption d’un nouveau-né et les prestations versées pour la prise en charge d’un enfant jusqu’à son premier anniversaire. À Monaco, une nouvelle loi adoptée en 2020 permet aux travailleurs indépendants d’avoir accès aux mêmes prestations familiales que celles servies aux salariés. En Turquie, en 2019, l’Institution de sécurité sociale (Social Security Institution – SSI) a lancé les programmes EDUCARE et INST-CARE, qui donnent accès à des services d’éducation et d’accueil des jeunes enfants pour permettre aux mères de jeunes enfants de continuer à travailler.
Passage de la scolarité à l’emploi
Depuis plusieurs années, les taux de chômage et d’activité des jeunes (15-24 ans) sont préoccupants.
Interrogés pour les besoins d’une enquête sur la transition entre scolarité et vie active, des jeunes travailleurs âgés de 15 à 29 ans ont cité cinq grandes raisons pour expliquer qu’ils se découragent dans leur recherche d’emploi: 1) l’absence d’emplois disponibles localement; 2) le fait de ne pas savoir comment et où rechercher un emploi; 3) l’incapacité à trouver un travail adapté; 4) le fait que leurs recherches soient infructueuses; et 5) le fait d’être trop jeune pour trouver un emploi (Elder et Kring, 2021).
Ces constatations en disent long sur l’importance des services pour l’emploi. Il faudrait aussi que ces services soient coordonnés et articulés avec les politiques menées dans les domaines de l’éducation, de l’emploi et de la sécurité sociale, de manière à faciliter l’accès à l’enseignement et à la formation et à permettre aux travailleurs d’accéder à une protection sociale.
Parmi les mesures prises pour faciliter le passage de l’école à la vie active figure l’apprentissage, qui conjugue apprentissage scolaire et formation pratique, de même que les dispositifs de soutien en faveur des jeunes qui veulent créer une entreprise ou exercer une activité indépendante.
Apprentissage
En Allemagne, en Autriche et en Suisse, l’apprentissage est inscrit dans la tradition du marché du travail. Il met en relation de jeunes travailleurs avec des employeurs des secteurs public ou privé, en général pendant une période suffisamment longue pour qu’ils acquièrent une qualification.
Pour ce qui est de l’implication des organisations de sécurité sociale, en Italie, l’Institut national d’assurance contre les accidents sur le travail (Istituto Nazionale per l’Assicurazione contro gli Infortuni sul Lavoro – INAIL) propose une plateforme d’apprentissage à distance (Studiare il Lavoro) pour aider les apprentis à se former. La plateforme fait appel à des études de cas réels, à des animations et à des jeux vidéo interactifs pour former les jeunes âgés de 15 à 18 ans à l’importance de la sécurité et de la santé au travail.
Création d’entreprise et exercice d’une activité indépendante par les jeunes
Créer une entreprise ou se lancer dans une activité indépendante est une autre option que peuvent envisager les jeunes pour commencer à exercer une activité lucrative. Parmi les mesures de soutien qui existent figure l’accès à des services financiers et à des possibilités de formation tout au long de la vie permettant d’acquérir les compétences nécessaires, notamment techniques et professionnelles (Weidenkaff et Witte, 2021). L’objectif est de permettre aux jeunes entreprises d’accéder à des compétences, connaissances, financements, marchés et réseaux grâce auxquels elles pourront à leur tour créer des emplois pour de jeunes travailleurs.
Les jeunes sont de plus en plus nombreux à se tourner vers le travail de plateforme, souvent faute de débouchés salariés décents. D’après une enquête menée en 2016-17, en moyenne, 4,9 pour cent des jeunes travailleurs vivant en Allemagne, en Autriche, en Italie, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni, en Suède ou en Suisse travaillaient dans l’économie des plateformes numériques (Pinedo Caro, O’Higgins et Berg, 2021).
Dans tous les pays de la région, le statut professionnel des travailleurs des plateformes pose un ensemble de problèmes juridiques complexes. L’un des problèmes juridiques fréquemment rencontré a trait à la question de savoir si ces travailleurs sont des travailleurs indépendants ou des salariés. Or, la distinction est importante parce que du statut professionnel dépendent les droits du travailleur, y compris en matière de sécurité sociale. L’essor de l’économie des plateformes est certes synonyme de nouveaux débouchés professionnels, mais ceux-ci demeurent précaires. La rémunération est souvent faible et aléatoire et les travailleurs n’ont qu’un accès limité aux mesures de sécurité et de santé au travail (SST) et à une protection sociale.
Dans la perspective de la reprise qui suivra la pandémie de COVID‑19, il est urgent de renforcer de manière plus coordonnée l’accès des travailleurs des plateformes numériques au droit du travail et à la protection sociale (BIT, 2021b).
Inclusion sociale des travailleurs migrants
On estime à environ 169 millions le nombre de travailleurs migrants internationaux à l’échelle mondiale. Parmi eux, 63,8 millions, soit 37,7 pour cent, vivraient en Europe (BIT, 2021c).
Les accords bilatéraux ou multilatéraux de sécurité sociale font partie des moyens les plus efficaces pour leur garantir une protection sociale. Le Règlement (UE) no 883/2004, qui est le plus vaste accord multilatéral de sécurité sociale de la région, s’applique à 31 pays, dont les 27 États membres de l’Union européenne, et les quatre pays de l’Association européenne de libre-échange (Iha, 2022).
Dans beaucoup de pays d’Europe, les travailleurs migrants en situation irrégulière ont accès à une protection sociale (BIT, 2021d, pp. 165-168). Selon la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille sont considérés comme en situation irrégulière les migrants qui ne sont pas «autorisés à entrer, séjourner et exercer une activité rémunérée dans l’État d’emploi conformément à la législation dudit État et aux accords internationaux auxquels cet État est partie».
Parmi les pays qui ont pris des mesures unilatérales à cet égard figurent:
- L’Allemagne, où les travailleurs migrants en situation irrégulière ont accès à une assistance médicale d’urgence et peuvent demander le remboursement de leurs frais sans craindre d’être dénoncés ou expulsés, la procédure étant confidentielle.
- La Belgique, où les migrants en situation irrégulière ont droit à une aide médicale urgente s’ils résident dans une région où existe un centre public d’action sociale (CPAS) et/ou s’ils n’ont pas les moyens financiers de prendre en charge eux-mêmes les soins médicaux dont ils ont besoin.
- Chypre, où les inspecteurs du travail qui découvrent des travailleurs non immatriculés ou travaillant de manière irrégulière obligent l’employeur à les affilier au régime d’assurance sociale, qui couvre toute personne exerçant un emploi rémunéré dans le pays.
- La France, où les travailleurs migrants en situation irrégulière peuvent avoir droit à l’aide médicale d’État (AME), qui couvre jusqu’à 100 pour cent de leurs frais médicaux à condition qu’ils résident en France depuis trois mois au moins sans interruption et que leurs ressources soient inférieures à un certain plafond.
- Le Portugal, où les migrants en situation irrégulière dans l’incapacité de prouver qu’ils résident dans le pays depuis plus de 90 jours peuvent néanmoins avoir accès gratuitement à certains services de santé tels que les soins d’urgence, les soins liés à la santé maternelle, procréative et infantile, le traitement de certaines maladies transmissibles comme le VIH/sida ou la tuberculose, et la vaccination.
- La Suède, où la législation relative aux soins aux personnes sans titre de séjour permet aux migrants en situation irrégulière d’avoir accès aux soins.
- La Suisse, où la couverture des travailleurs migrants ne dépend pas de leur statut juridique et résulte de l’obligation d’affiliation à un régime d’assurance sociale.
Travailleurs informels et adultes en âge de travailler
Travail informel
L’économie informelle occupe une place non négligeable dans la région. On estime ainsi qu’une personne sur quatre (soit 25,1 pour cent) de la population occupée de la région exerce un emploi informel. Ce chiffre est ramené à une personne sur cinq (20,9 pour cent) hors agriculture. Il existe de fortes disparités selon les sous-régions. En Europe du Nord, du Sud et de l’Ouest, l’économie informelle ne représente que 14,3 pour cent de la population active, contre 31,5 pour cent en Europe de l’Est et 43,4 pour cent en Asie centrale et occidentale. C’est au Tadjikistan que la part de l’emploi informel est la plus élevée (74,8 pour cent), puis en Albanie (61 pour cent) et en Arménie (52,1 pour cent), tandis qu’elle est inférieure à 10 pour cent dans les pays d’Europe du Nord, de même qu’en Estonie, au Luxembourg, à Malte et en Slovénie (BIT, 2019).
Dépendance à l’égard des prestations
Le risque de dépendance à l’égard des prestations, en particulier des prestations d’aide sociale, est souvent souligné par les organismes chargés de l’administration des transferts de revenu et des programmes non contributifs. Le ministère maltais de la Famille, des Droits de l’enfant et de la Solidarité sociale s’est attaqué à ce défi. Les programmes d’aide sociale en place encourageaient la dépendance, rendaient l’acceptation d’un emploi peu intéressante financièrement et créaient un «piège des prestations».
En 2014, le gouvernement a lancé sous le nom Making work pay («rendre le travail payant») un programme consistant en une série de mesures actives du marché du travail qui, sur une période de trois ans, permet aux participants d’acquérir des compétences, leur fournit du travail et favorise leur réinsertion professionnelle avec le soutien d’employeurs du secteur privé. Grâce à ce programme, Malte a réussi à réduire la dépendance à l’égard des prestations, à accroître le taux d’emploi, à faire reculer la pauvreté et à faire progresser l’inclusion.
Favoriser l’emploi des adultes en âge de travailler
La crise financière mondiale de 2007-08 et la récession économique qui en a résulté ont entraîné une hausse du taux de chômage de 300 pour cent en Irlande entre 2008 et 2012. À l’époque, les services de protection sociale et de l’emploi relevaient de trois grands organismes distincts, d’où une fragmentation de l’offre de services. Pour y remédier, il a été décidé de centraliser les fonctions administratives en les confiant à l’un des organismes, le ministère de la Protection sociale (Department of Social Protection – DSP), qui a absorbé les deux autres. Des centres dénommés «Intreo», fonctionnant comme des guichets uniques, ont été chargés de dispenser les services de protection sociale et de l’emploi. Le délai de traitement des dossiers est passé de trois semaines à environ trois jours et le temps d’attente pour une prise en charge par les services de l’emploi est passé de trois mois à environ deux semaines. Le taux de persistance, qui mesure le pourcentage de chômeurs qui basculent du chômage temporaire au chômage de longue durée a diminué pour s’établir à 26 pour cent contre 35 pour cent auparavant. Le taux de progression, qui mesure le pourcentage de chômeurs qui quittent un programme de prestations, est passé de 25 à 44 pour cent parmi les participants qui étaient au chômage de longue durée.
Le regroupement des services de protection sociale et de l’emploi permet d’établir un lien plus étroit entre le paiement de prestations aux chômeurs et la mission importante qui consiste à les accompagner dans leur recherche d’emploi et dans les démarches connexes. En Irlande, les procédures accomplies par les trois organismes existant au départ (traitement des demandes d’indemnisation et paiement des prestations) ont ainsi été transformées en une prise en charge globale (case management) des usagers, plus proactive et plus efficace. Les gains d’efficience réalisés par le DSP témoignent des résultats qui peuvent être obtenus grâce à la mise en oeuvre coordonnée de politiques et de programmes relevant d’organismes différents. L’exploitation et la création de synergies, ici entre les services de protection sociale et les services de l’emploi, renforcent et optimisent les résultats de la sécurité sociale.
Bonnes pratiques
Malte: rendre le travail payant
En 2014, le gouvernement de Malte a lancé le programme intitulé Making work pay («rendre le travail payant) afin de réduire la dépendance à l’égard des prestations, de faire progresser l’emploi déclaré et de stimuler l’économie. Le programme est composé d’une série de mesures actives du marché du travail destinées à favoriser le retour au travail des personnes inactives ou au chômage. Il comprend un régime de prestations versées en complément d’un revenu d’activité, des services de garde d’enfants gratuits pour les parents occupant un emploi ou suivant une formation et la mise à disposition d’un service d’accueil périscolaire pour les enfants scolarisés à l’école primaire. À noter que le montant des prestations diminue progressivement sur trois ans pour que les bénéficiaires apprennent à se passer de l’aide sociale. De plus:
- Pour inciter le deuxième parent (en général la mère) à travailler, la prestation versée est plus élevée lorsque les deux membres du couple travaillent que lorsque le ménage ne compte qu’un apporteur de revenu.
- La gratuité des services de garde et d’accueil périscolaire des jeunes enfants a pour but de permettre aux mères de travailler à plein temps.
- Le ministère de la Famille, des Droits des enfants et de la Solidarité sociale (Ministry for the Family, Children’s Rights and Social Solidarity – MFCRSS) coopère avec des entreprises privées pour proposer des postes aux participants au programme.
- Les prestations d’aide sociale conservées diminuent progressivement sur trois années, passant de 65 à 45 pour cent, puis à 25 pour cent. L’objectif est de motiver les participants.
- Au cours de ces trois années, les employeurs privés reçoivent 25 pour cent de la prestation d’aide sociale à l’appui de l’effort de formation des participants au programme.
- Pendant cette même période, le ministère réalise une économie qui augmente progressivement, passant de 10 à 30 pour cent, puis à 50 pour cent de la dépense d’aide sociale. Il réaffecte cette somme aux services de placement, aux programmes de formation et aux autres mesures de lutte contre la pauvreté.
Source: AISS (2022).
Turquie: mise en oeuvre du programme visant à favoriser le passage de l’emploi informel à l’emploi formel
La crise des réfugiés déclenchée par le conflit syrien qui a commencé en 2011 a d’abord été vue comme une situation d’urgence humanitaire. Depuis, l’arrivée massive de Syriens dans les pays voisins de la Syrie a fait naître de nouvelles interrogations au sujet de leur intégration et développement, ainsi qu’au sujet du partage des responsabilités en ce qui concerne l’aide à leur apporter. Tel est le contexte dans lequel la Turquie a lancé le programme visant à favoriser la transition vers l’emploi formel (Transition to Formality – TPF).
Le TPF a pour but de permettre aux Syriens bénéficiant d’une protection temporaire en Turquie en raison du conflit syrien d’accéder à un emploi formel et à un travail décent dans leurs lieux d’accueil. Il est également accessible aux ressortissants turcs. En pratique, il prévoit le versement d’une aide financière aux employeurs qui recrutent des réfugiés syriens bénéficiant d’une protection temporaire ou des ressortissants turcs. L’employeur dépose une demande de permis autorisant le réfugié à travailler en Turquie. Le programme rembourse à l’employeur les frais de demande de l’autorisation de travail et les cotisations de sécurité sociale versées pour le compte du bénéficiaire pendant six mois au maximum, après vérification par l’Institution de sécurité sociale que l’emploi est déclaré.
Le programme promeut une culture de l’emploi formel et incite les employeurs à respecter leurs obligations à l’égard de la sécurité sociale. Il est déployé de manière progressive, par phases, dans les différentes provinces turques depuis 2019.
Source: AISS (2022).
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