Travailleurs de plateformes et sécurité sociale: évolutions récentes en Europe

Travailleurs de plateformes et sécurité sociale: évolutions récentes en Europe

En Europe comme dans le reste du monde, le travail de plateformes est en plein essor. Cet article examine les évolutions qui ont eu lieu dernièrement dans la région et leur influence sur les droits et l’accès à la sécurité sociale des travailleurs de plateformes. Il s’attarde en particulier sur les initiatives récentes en matière de requalification du statut de certains travailleurs, sur l’évolution des conditions de travail et sur l’extension de nouveaux droits et obligations.

Au sein de la seule Union européenne (UE), on dénombrait en 2022 plus de 500 plateformes actives, par l’intermédiaire desquelles quelque 28 millions de travailleurs exécutaient des tâches diverses (Conseil de l’Union européenne, 2023). Face au nombre élevé et croissant de personnes qui perçoivent un revenu d’activité par l’entremise de plateformes – qu’il constitue leur principale source de revenu ou une source complémentaire –, des voix se sont élevées pour demander qu’une réglementation claire protège les droits de ces travailleurs en matière de travail et de sécurité sociale.

En Europe, la principale voie suivie à cette fin a consisté à commencer par appréhender la question sous l’angle du statut de ces travailleurs. En juin 2021, avant les réformes récentes des réglementations nationales, environ 90 pour cent des plateformes considéraient les personnes travaillant par leur intermédiaire comme des travailleurs indépendants (Commission européenne, 2021), avec les conséquences qui en découlaient pour l’accès à la protection du travail et à la sécurité sociale. Ces limites, de même que le contrôle exercé par les plateformes sur les travailleurs, sont à l’origine de décisions de justice, de réformes législatives et d’initiatives dont le but est d’obtenir la requalification de ces travailleurs en tant que salariés afin qu’ils bénéficient de l’ensemble des droits attachés à ce statut. Il est toutefois peu probable que cet angle d’attaque suffise à traiter les multiples manières dont l’économie des plateformes remet en cause la relation d’emploi et les pratiques traditionnelles. C’est pourquoi les pouvoirs publics cherchent aussi à renforcer les règles pour garantir un travail décent et une protection sociale à l’ensemble des travailleurs, quel que soit leur statut.

Cet article porte sur les réformes adoptées depuis peu ou en passe de l’être dans le but spécifique de garantir une couverture aux travailleurs de plateformes. En Europe, elles s’inscrivent principalement dans le champ du droit du travail, mais ont parfois d’importantes conséquences pour la sécurité sociale (tableau 1). Un prochain article explorera les évolutions qu’a connues dernièrement la sécurité sociale des travailleurs indépendants et qui ont également des répercussions sur les travailleurs de plateformes étant donné que la majorité d’entre eux continuent de relever du statut de travailleur indépendant.

 

Tableau 1. Panorama de l’objet des réformes adoptées ou en cours d’adoption en Europe.
  Qualification Protection du travail Sécurité sociale Communication de données fiscales
Allemagne        
Autriche        
Belgique       *
Bulgarie        
Chypre        
Croatie        
Danemark        
Espagne        
Estonie        
Finlande        
France       *
Grèce        
Guernsey        
Hongrie        
Irlande        
Italie        
Lettonie        
Lituanie        
Luxembourg        
Malte        
Pays-Bas        
Pologne        
Portugal        
République tchèque        
Roumanie        
Royaume-Uni        
Slovaquie        
Slovénie        
Suède        

Les cellules en vert correspondent à la législation adoptée au niveau de l’UE (vert clair = en cours; vert foncé = en vigueur). Les cellules en bleu correspondent à la législation nationale. La présence d’un astérisque (*) signale que des règles européennes ont supplanté les règles nationales.

Note: Pour le Royaume-Uni, la protection du droit du travail et la couverture sociale correspondent aux droits attachés au statut de «travailleur» («worker»), actuellement applicable dans le secteur du transport à la demande.

Qualification du statut professionnel

L’une des stratégies envisageables pour garantir une protection adéquate des travailleurs consiste à aborder la question sous l’angle de leur statut. L’économie des plateformes progressant plus vite que les règles qui l’encadrent, il est fréquent que les nouvelles formes de relations de travail ne correspondent à aucune des définitions habituellement retenues dans le domaine de l’emploi. Les tribunaux nationaux et régionaux sont de plus en plus souvent saisis par des particuliers ou des collectifs qui remettent en cause la qualification de travailleur indépendant retenue par défaut pour les travailleurs de plateformes (annexe A). Ces affaires mettent en lumière des facteurs tels que la gestion algorithmique, l’indépendance de la fixation des prix et les conséquences qui en résultent  du point de vue de la subordination de fait. La jurisprudence est ensuite reprise par les services d’inspection du travail, l’administration fiscale et les institutions de sécurité sociale, les autorités de la concurrence et les parquets (Hießl, 2021).

L’économie des plateformes numériques évoluant elle-même rapidement – par exemple sous l’effet de l’utilisation de plateformes jouant le rôle d’intermédiaires ou agrégateurs et de l’apparition de plateformes locales –, les litiges portant sur le statut des travailleurs font encore le plus souvent l’objet d’un examen au cas par cas, reposant sur une évaluation des conditions de travail des travailleurs concernés au regard des lignes directrices ou dispositions du droit du travail applicables en matière de détermination du statut. Compte tenu de l’hétérogénéité des plateformes, cette approche a conduit à reconnaître à certains plaignants des droits à la protection de la législation du travail et à la sécurité sociale. Bien qu’elle soit utile parce qu’elle permet d’examiner chaque situation et les multiples facteurs qui interviennent dans la qualification de l’emploi, elle peut aussi être source d’incertitude lorsque les affaires arrivent devant les tribunaux régionaux et que des décisions contraires sont prises au sein d’un même pays ou entre différents pays. C’est pourquoi de nombreuses propositions ont été avancées au niveau national comme régional pour établir une présomption réfragable de salariat pour ces travailleurs, ce qui revient à transférer la charge de la preuve aux plateformes, auxquelles il incombe de contester l’existence d’une relation de subordination de type employeur-salarié.

Présomption de salariat

Par l’adoption la loi sur les livreurs, en 2021, l’Espagne a ouvert la voie à ce qui devait devenir une tendance générale à la reconnaissance d’une présomption de salariat en Europe et dans le monde. Votée à la suite d’un arrêt du Tribunal suprême qui reconnaissait le statut de salarié aux travailleurs de Glovo (annexe 1), cette loi a étendu le bénéfice de ce statut à tous les autres livreurs de repas. En pratique, elle a transféré la charge de la preuve des travailleurs vers les plateformes, auxquelles il appartient désormais de prouver que le livreur est indépendant et non salarié. Depuis, les livreurs espagnols ont automatiquement accès aux mêmes protections que les salariés (sauf s’il est démontré qu’ils ne remplissent pas les conditions requises) et les entreprises qui gèrent les plateformes sont tenues de verser toutes les cotisations de sécurité sociale exigibles. De premiers éléments montrent que l’application de cette loi s’est heurtée à des problèmes, du fait que ce pan du droit du travail est encore relativement inexploré (EU-OSHA, 2022).

Au niveau supranational, inspirés par la réforme espagnole, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne négocient actuellement une directive qui a pour but d’encadrer les conditions de travail des travailleurs de plateformes. Présentée par la Commission européenne en décembre 2021, cette directive, qui s’appliquerait à l’ensemble des travailleurs de plateformes, et non aux seuls livreurs, propose que le statut de salarié leur soit reconnu si deux critères sont remplis au sein d’une liste qui en contient cinq (graphique 1). Toutefois, le dernier document en date (en l’occurrence la position arrêtée par le Conseil en juin 2023) subdivise la condition relative à l’organisation du travail en trois critères et fixe à trois sur sept le nombre minimum de critères qui doivent être remplis pour que la qualité de salarié puisse être reconnue.

Bien qu’elle soit encore en cours de négociation, la future directive européenne a déjà été à l’origine de la mise en place, dans les États membres, de réglementations suivant le même modèle, à savoir réformant le droit du travail pour introduire une présomption de salariat. Comme le montre le graphique 1, certains pays ont repris exactement les critères retenus par la directive (Malte), d’autres ont ajouté des conditions (Croatie, Belgique, Portugal) et d’autres encore n’ont adopté qu’une partie des critères envisagés par la directive (Luxembourg). Les conditions minimales qui doivent être satisfaites pour que l’emploi puisse être considéré comme du salariat diffèrent cependant d’une approche à l’autre. La Belgique accorde un poids différent aux critères – trois des huit critères nationaux ou deux des critères initialement retenus par l’UE doivent être satisfaits –, tandis que la Croatie et le Portugal ne fixent pas de minimum (dans le cas du Portugal, il sera intéressant d’observer l’articulation entre ces critères et le nouveau statut de «travailleur indépendant économiquement dépendant», qui crée de nouvelles obligations pour les donneurs d’ordre représentant au moins 50 % du revenu d’un travailleur indépendant).

Il existe également des différences au niveau du champ d’application des réformes. Ainsi, en Croatie et au Portugal, la réglementation s’applique à la fois aux plateformes numériques elles-mêmes et aux agrégateurs auxquels elles peuvent sous-traiter leurs services. L’amendement du code du travail envisagé au Luxembourg se démarque en ce sens qu’il précise que la présomption de salariat est irréfragable dès lors que plus de deux critères sont satisfaits. À noter que tous ces pays font partie de ceux qui ont exigé des garanties plus fortes après que le Conseil a arrêté sa position. Par ailleurs, la diversité des critères pris en compte fournit un aperçu de la façon dont la directive pourrait être transposée dans le droit interne.

Graphique 1. Critères auxquels est subordonnée la présomption de salariat dans les réformes adoptées et proposées en Europe.

 

Graphique 1

Le graphique 1 fait apparaître les cinq critères figurant dans la proposition de directive européenne présentée par la Commission européenne en 2021. Les contours en pointillés représentent les propositions non encore adoptées ou entrées en vigueur (la directive de l’UE et la législation luxembourgeoise). La version révisée proposée par le Conseil de l’UE et la législation des différents pays sont présentées en annexe B.

 

En Grèce, les réformes qui touchent les travailleurs de plateformes passent par des amendements à la loi sur le travail no 4008/2021. Le pays occupe une place à part pour ce qui est de la question du statut parce que la présomption applicable est une présomption de travail indépendant et non une présomption de salariat. Cette présomption s’applique à condition que le travailleur (i) ait la possibilité de faire appel à des sous-traitants ou à des remplaçants, (ii) puisse choisir unilatéralement le nombre de missions qu’il peut prendre à une date donnée, (iii) ait le droit de fournir de manière indépendante des services à des tiers, y compris à des plateformes concurrentes, (iv) détermine librement ses horaires de travail. La législation ne précise pas à qui incombe la charge de la preuve, mais il faut la mettre en regard de la directive, celle-ci donnant aux plateformes la possibilité de renverser la présomption en faisant valoir que la relation n’est pas une «relation de travail au sens du droit, des conventions collectives ou de la pratique en vigueur dans l’État membre en question» (Proposition de directive européenne, 2021).

L’adoption de la directive pourrait aussi avoir des répercussions au-delà des membres de l’UE-27. En Serbie par exemple, dans un rapport sur l’état de la concurrence sur le marché des plateformes numériques, la Commission pour la protection de la concurrence (2022) recommande que les institutions prennent les dispositions nécessaires pour harmoniser la législation nationale avec le droit de l’Union européenne applicable actuellement, ce qui constitue une étape décisive en vue de l’adhésion du pays à l’UE. Le ministère du Commerce doit donc commencer à rédiger les propositions de réglementation nécessaires, et le ministère du Travail, de l’Emploi, des Anciens combattants et des Affaires sociales veillera à l’application des dispositions du droit du travail aux travailleurs de plateformes numériques et à leurs partenaires logistiques (les agrégateurs). Il serait bon qu’une évolution similaire ait lieu dans les autres pays candidats à l’adhésion.

Clarification des lignes directrices et création d’un troisième statut

Certains pays se sont attachés, non pas à définir de nouvelles règles législatives visant les travailleurs de plateformes, mais à remédier à d’éventuels problèmes de qualification du statut en clarifiant les lignes directrices qui existent déjà concernant les différents statuts et en précisant qu’elles sont applicables à l’économie des plateformes. Ainsi, l’Irlande a publié une version actualisée du code de pratique pour la détermination du statut professionnel (Code of Practice Determining Employment Status), la Finlande a amendé la loi sur les contrats de travail et les Pays-Bas ont proposé une réforme du marché du travail. Ces initiatives ont en commun de s’attaquer au «faux travail indépendant» et d’exiger une évaluation beaucoup plus précise des conditions de travail des travailleurs de plateformes.

Enfin, on observe que le discours relatif à la qualification du statut renvoie souvent à une division binaire entre salariés d’un côté et travailleurs indépendants de l’autre. Or, certains acteurs ont posé la question de la capacité de ces concepts à refléter correctement la nature de l’emploi dans l’économie des plateformes, s’interrogeant sur la nécessité d’introduire une troisième catégorie. À titre d’exemple, au Royaume-Uni, les décisions récemment rendues par la justice classent certains groupes de personnes travaillant par l’intermédiaire de plateformes dans la catégorie des «travailleurs» («workers»), une catégorie qui donne accès à un niveau intermédiaire de droits et prestations, à mi-chemin entre ceux des salariés et ceux des prestataires indépendants. De même, en Italie, les livreurs de repas sont rattachés au statut de «lavoro eterorganizzato», ce qui signifie littéralement «travail ayant une autre organisation» et met l’accent sur le fait que cette activité est différente des formes d’emploi traditionnelles. De même, en Autriche et en Norvège, il existe une troisième catégorie, mais elle n’a pour l’heure pas été très utilisée pour définir le statut des travailleurs de plateformes (PwC Legal, 2022). Dans tous les cas, les pays doivent veiller à ce que cette troisième catégorie introduite dans le droit du travail permette aux travailleurs qui en relèvent d’accéder à des moyens financiers suffisants et à la sécurité sociale.

Extension globale des prestations

Le débat sur la requalification étant toujours ouvert et ayant peu de chances d’être entièrement tranché à brève ou moyenne échéance compte tenu des étapes de la procédure que la directive européenne doit encore franchir et du délai de transposition dans la législation interne qui suivra, il est intéressant de mettre en lumière les mesures prises pour étendre les droits et prestations aux travailleurs de plateformes, quel que soit leur statut. Ces mesures concernent aussi bien la protection du travail que la couverture de la sécurité sociale (AISS, 2023) et ont été prises par la voie législative générale, à travers des réglementations sectorielles ciblées ou par des conventions collectives.

Protections du travail

En Europe, les mesures adoptées pour permettre aux travailleurs de plateformes de bénéficier des protections du travail ont pour l’essentiel porté sur l’amélioration des conditions de travail, notamment de la rémunération, du temps de travail et de la sécurité et de la santé au travail (SST). La loi croate sur l’élimination du travail non déclaré et le décret-loi italien nº 101/2019 visent à garantir une rémunération adéquate à la majorité des travailleurs, alors qu’au Danemark et en France, les conventions collectives s’appliquent uniquement au secteur concerné par la négociation – prévoyant un salaire horaire pour les livreurs dans les deux pays, et un prix minimum de la course pour les chauffeurs à la demande en France. Au Danemark, la convention collective encadre également le temps de travail, ce que fait aussi la loi autrichienne relative au transport occasionnel dans le cas des activités de transport à la demande. Beaucoup de travailleurs de plateformes sont particulièrement exposés à des risques liés à leur travail, raison pour laquelle le Danemark, la Grèce et l’Italie ont cherché à garantir la fourniture d’équipements de protection et l’accès à une formation adéquate, s’appuyant à cette fin sur les conventions collectives (Danemark), la législation (Grèce) et le dialogue (Italie). Enfin, dans certains cas, en particulier au Danemark, en Allemagne, en Italie, en Lituanie, aux Pays-Bas et en Suède, les conventions n’ont pas une couverture sectorielle: elles ne couvrent que les travailleurs qui utilisent une plateforme donnée.

Pour faciliter l’accès à ces protections, les pays ont étendu le droit de négociation collective aux travailleurs de l’économie de plateformes, ce qui a parfois eu un effet d’entraînement, à savoir que dans certains cas, ces droits ont également été étendus aux travailleurs indépendants. La nature du travail de plateformes et la dispersion de la main-d’œuvre compliquent singulièrement l’organisation collective des travailleurs, en particulier pour ceux qui effectuent un travail en ligne. C’est pourquoi plusieurs institutions ayant pour mission de faciliter le dialogue et les interactions sont apparues dans l’ensemble de la région (encadré 1). Jusqu’alors réservé aux salariés, le droit de s’organiser collectivement, de faire grève et de proposer des conventions collectives est désormais accessible aux travailleurs de plateformes en Grèce, en France et au Portugal. Ces travailleurs peuvent ainsi agir pour obtenir de meilleures conditions de travail et faire connaître les difficultés spécifiques à l’économie des plateformes. Aux côtés de textes qui étendent le bénéfice des mécanismes de résolution des différends, tels que la loi portugaise sur les transports de 2018, la création de ces organes de médiation permet d’adopter une approche unifiée et d’obtenir des résultats cohérents malgré la grande dispersion de ces travailleurs.

Encadré 1. Institutions ayant vocation à faciliter le dialogue et la compréhension entre les plateformes, les travailleurs et les pouvoirs publics
Ces mécanismes de médiation par un tiers facilitent l’acquisition de droits. Créées par les institutions publiques ou par des acteurs privés grâce à la mobilisation des plateformes et des syndicats, les organisations telles que celles décrites ci-après ont pour but de favoriser le dialogue et permettent à toutes les parties concernées d’exprimer leurs préoccupations et, dans l’idéal, de trouver un terrain d’entente.
  • Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi (ARPE), France: Placée sous la tutelle du ministère du Travail et du ministère des Transports, l’ARPE est un établissement public administratif chargé de faire vivre le dialogue social et d’organiser des élections syndicales. Elle est financée par un impôt versé par les plateformes (Ministère du Travail, du Plein Emploi et de l’Insertion, 2023).
  • Conseil de l’économie collaborative, Danemark: Mandaté par le ministère de l’Industrie, des Entreprises et des Affaires financières, ainsi que par le ministère de l’Emploi et le ministère de la Fiscalité, le Conseil a vocation à stimuler la croissance de l’économie des plateformes et à veiller, en facilitant le dialogue entre les représentants des parties concernées, à ce que la main-d’œuvre de ce secteur bénéficie de conditions de travail équitables et d’un accès à la protection sociale (Eurofound, 2021).
  • Bureau du médiateur, Allemagne: Le Bureau du médiateur a pour mission de favoriser la coopération entre les travailleurs et les plateformes de production participative (crowdsourcing) et de résoudre les différends. Il n’est compétent que pour les plateformes qui ont signé le code de conduite du secteur de la production participative (Bureau du médiateur, n.d.).

Au-delà des conditions de travail et des diverses stratégies choisies pour les améliorer dans la région, les pays s’intéressent de plus en plus à la question de la transparence, comme en témoigne la directive 2019/1152 relative à des conditions de travail transparentes et prévisibles. Du fait de l’utilisation d’algorithmes pour la gestion des ressources humaines, les travailleurs ignorent souvent tout des processus décisionnels, alors que des éléments tels que les avis des consommateurs et la durée de la période de connexion peuvent avoir une forte incidence sur les revenus et l’accès aux tâches rémunérées (OIT, 2021). L’un des principaux objectifs de la directive européenne est justement de garantir aux travailleurs et aux autorités chargées de la réglementation un accès à l’information au sujet des règles et critères utilisés par les outils algorithmiques pour attribuer les tâches ou évaluer le travail exécuté. La Croatie, l’Italie, Malte et le Portugal l’ont déjà transposée dans le cadre de leurs réformes, tandis qu’en Allemagne, la question est en cours d’examen. De manière générale, une plus grande transparence et un meilleur accès aux données sont un moyen, pour les organisations représentatives des travailleurs, dont celles qui défendent les intérêts des travailleurs de plateformes, de négocier avec plus d’efficacité en vue de l’amélioration des droits. Ainsi, en Lituanie, l’accès à des statistiques sur le nombre de travailleurs et leur rémunération moyenne a permis d’obtenir des informations grâce auxquelles les travailleurs ont été en meilleure position pour négocier (Commission européenne, 2021).

Couverture de la sécurité sociale

La mise en œuvre de la directive européenne et les mesures qui portent sur la qualification auront certes des conséquences importantes sur la sécurité sociale des travailleurs de plateformes. Néanmoins, les initiatives ayant pour but d’étendre de manière ciblée les prestations sociales pour qu’ils en bénéficient sont restées plus rares, l’essentiel des efforts ayant visé à obtenir que les plateformes agissent comme des employeurs dans le cadre de certains régimes ou de certaines branches. La France y est parvenue à travers la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, qui dispose que les travailleurs de plateformes dont la rémunération est supérieure à 13 pour cent du plafond annuel de la sécurité sociale ont obligatoirement accès aux prestations de l’assurance accidents du travail, soit à travers la prise en charge par la plateforme des cotisations dues au titre de l’affiliation à un régime individuel volontaire soit à travers l’adhésion à un système d’assurance collectif offrant des prestations comparables. De même, en Belgique, le «deal pour l’emploi», qui apporte une réponse à la question de la qualification de la relation d’emploi, oblige les exploitants des plateformes à fournir une assurance accidents à l’ensemble des travailleurs. Enfin, depuis février 2020, l’Italie a étendu le bénéfice de l’assurance accidents du travail aux travailleurs indépendants qui exercent leur activité dans le secteur de la livraison, les plateformes étant tenues de respecter les obligations applicables aux employeurs. Par ailleurs, des accords collectifs ne couvrant qu’une seule plateforme ont permis aux travailleurs concernés d’accéder à certains droits, notamment, dans le cas du Danemark (plateforme Just Eat), de bénéficier d’un salaire minimum, d’acquérir des droits à la retraite, de percevoir des prestations familiales et d’avoir droit à un congé en cas de maladie, ou encore, dans le cas des Pays-Bas (plateforme Temper, accord temporaire) d’accéder à la formation, d’acquérir des droits à la retraite et de bénéficier d’une assurance invalidité et responsabilité civile (Commission européenne, 2021).

Outre ces réformes déjà engagées pour étendre les prestations, des débats sont en cours à ce sujet en Allemagne et au Royaume-Uni. En Allemagne, le ministère fédéral du Travail et des Affaires sociales plaide pour l’intégration des travailleurs de plateformes indépendants dans le champ d’application de l’assurance pension légale et propose que le paiement des cotisations incombe aux plateformes. Il préconise également une réforme de l’assurance accidents (Bundesministerium für Arbeit und Soziales – BMAS, 2020). Au Royaume-Uni, le document d’orientation publié sous le titre «Good Work Plan» préconise un rapprochement entre les règles relatives aux droits et au statut fiscal des salariés et celles applicables en la matière à la troisième catégorie de travailleurs (la catégorie des «workers»). Il plaide également pour un renforcement de la couverture légale des travailleurs précaires et vulnérables.

À noter que les efforts déployés pour étendre le bénéfice de ces prestations sociales aux travailleurs de plateformes ou améliorer celles auxquelles ils avaient déjà droit doivent être analysés dans le contexte régional et national dans lequel ils s’inscrivent. Si la clarification du statut professionnel peut avoir une incidence sur le financement (à travers les taux de cotisation) ou l’accès à certaines branches, l’étendue et l’ampleur des lacunes de la couverture sociale dont pâtissent les travailleurs de plateformes varient parfois sensiblement d’un pays à l’autre. Dès lors, les réformes qui portent sur le statut peuvent avoir un impact plus faible sur la couverture sociale dans certains pays, en particulier dans ceux dont le système social comprend plusieurs piliers, dont un pilier universel qui occupe une place importante. De ce point de vue, il est important de s’attarder sur des systèmes tels que ceux en place dans les pays nordiques, en Irlande, en Lituanie et au Portugal, qui ne lient pas l’accès à la protection sociale (du moins à une protection sociale de base) au statut professionnel ou dans lesquels des subventions et des contributions publiques permettent déjà d’accorder une couverture adéquate aux salariés comme aux travailleurs indépendants.

Autres réglementations

D’autres réglementations que les réformes visant le statut et les prestations ont des répercussions sur les plateformes numériques et les travailleurs qui les utilisent. À titre d’exemple, parce qu’elle est entrée sur un marché qui, même s’il existait déjà, fonctionnait selon un autre modèle économique, l’activité de transport à la demande s’est heurtée à une forte opposition et à de multiples obstacles, si bien que des voix se sont élevées pour demander l’adoption de lois sur le transport encadrant cette activité. Par ailleurs, la réglementation fiscale et les lignes directrices relatives à la communication de données se traduisent par un contrôle étroit des revenus des plateformes de travail et peuvent avoir des conséquences sur la collaboration entre les plateformes et les institutions publiques.

Autorisation et accréditation applicables au transport de passagers

Le transport à la demande est l’activité de l’économie des plateformes qui a été le plus encadrée, pour des raisons tenant à la nécessité de garantir une concurrence équitable et la sécurité des passagers. Dans l’ensemble, la réglementation adoptée a consisté à introduire l’obligation de détenir une autorisation ou une accréditation permettant ensuite au travailleur d’exercer son activité légalement en faisant l’objet du même degré de contrôle que s’il était chauffeur dans le secteur traditionnel (Hongrie, Irlande, Lituanie) (Commission européenne, 2021). Un registre des travailleurs favorise l’exercice de l’activité dans un cadre formel, et les entreprises de transport de passagers sont chargées de contrôler le respect des règles, le justificatif de l’accréditation faisant partie des documents à produire pour l’inscription dans le registre. Ainsi, en Slovénie, la réforme a introduit un document qui a pour but d’encourager la coopération entre l’exploitant de la plateforme et les institutions publiques (ibid). De même, au Luxembourg, les travailleurs peuvent exercer une activité de transport à la demande à condition de respecter les réglementations en matière d’autorisation et de sécurité sociale (ibid). Ces réformes contiennent également des mesures qui ont une incidence sur les protections du travail. À titre d’exemple, en Autriche, les mesures relatives aux autorisations et à l’accréditation contiennent des dispositions sur le temps de travail, tandis qu’au Portugal, les plateformes doivent faire appel à des «opérateurs» qui jouent le rôle d’intermédiaires entre la plateforme et les chauffeurs; en outre, la réforme a introduit des mécanismes de résolution des différends (ibid).

Obligation de déclaration aux autorités fiscales

Enfin, au niveau de l’UE, la septième directive relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal (ou DAC-7) a aussi un impact important. Adoptée en 2021, elle contient un ensemble de dispositions sur la transparence qui imposent aux plateformes numériques des règles semblables à celles prévues par la Norme commune de déclaration, les contraignant à déclarer aux autorités fiscales des informations sur leurs vendeurs.

Applicable à compter de janvier 2023, elle fait obligation aux plateformes de recueillir les données suivantes concernant leurs vendeurs: numéro d’identification fiscale, coordonnées bancaires, totalité des données relatives aux ventes (ex. revenu, nombre d’activités exécutées, frais et commissions prélevés par la plateforme). Ces informations sont enregistrées par année civile, et le premier rapport devra être émis en janvier 2024. Cette obligation de communication de données constitue un précédent important s’agissant de la coopération entre institutions publiques et plateformes numériques. La DAC-7 ayant déjà été transposée dans le droit interne de tous les États membres sauf deux (EUR-Lex, 2023), elle présente en outre l’intérêt de permettre des échanges d’informations entre les autorités compétentes dans chaque pays.

Elle n’impose pas de prélèvement d’impôt à la source et ne fait pas directement référence à la sécurité sociale, mais elle pourrait avoir des répercussions au-delà de la conformité fiscale. La définition des «vendeurs à déclarer» étant large, la DAC-7 couvre l’essentiel des activités de l’économie des plateformes. En outre, l’identification des prestataires va générer un gros volume de données dans un secteur où la législation repose pour l’heure en grande partie sur des estimations. Si la communication de données devait être étendue à d’autres institutions, les informations sur le volume d’opérations exécutées et sur le revenu généré par l’intermédiaire des plateformes numériques pourraient être mises à profit dans le domaine de la sécurité sociale, que ce soit pour assurer un contrôle fiable du recouvrement des cotisations ou pour adapter les cadres juridiques de manière à tenir compte de la réalité économique des travailleurs atypiques.

Une obligation similaire de déclaration d’informations a été instaurée par le Royaume-Uni, même si le calendrier est différent puisque qu’elle ne s’appliquera pas avant 2024, et devrait être lancée à l’échelle mondiale par l’OCDE en 2025. La France et la Belgique avaient déjà introduit ce type de réglementation, exigeant des plateformes qu’elles informent les prestataires de services de l’ensemble de leurs obligations fiscales et sociales. La législation française exige également qu’elles fournissent un lien vers le site des autorités correspondantes (Baker et McKenzie, 2021; Tax News Update, 2023). Les règles relatives à la déclaration d’informations prennent une importance toute particulière lorsqu’un régime fiscal unifié ou simplifié est en place, comme c’est le cas en Estonie, en France et en Serbie parce qu’en pareil cas, les données recueillies concernant les travailleurs de plateformes qui sont affiliés à ces régimes réservés aux microentrepreneurs permettent de vérifier le respect des obligations fiscales comme des obligations contributives.

Conclusions

En Europe, la protection des travailleurs de plateformes – qui suppose une reconnaissance de la totalité des droits à la sécurité sociale et un accès effectif à ces droits – a été érigée au rang de priorité mais demeure une entreprise inachevée. À ce jour, la stratégie générale consiste, pour y parvenir, à tenter de requalifier le statut de ces travailleurs en leur reconnaissant la qualité de salariés. Cette tendance est en partie motivée par le fait qu’en pratique, beaucoup d’entre eux se trouvent dans une situation de dépendance à l’égard des plateformes. Toutefois, elle a aussi une explication historique, à savoir que dans la majorité des pays d’Europe, les salariés ont toujours utilisé le pouvoir de négociation fort dont ils disposent pour obtenir des protections du travail efficaces et des prestations de sécurité sociale complètes, tandis que les travailleurs indépendants ont nettement moins souvent accès à l’intégralité de cette protection. Les travailleurs de plateformes étant actuellement souvent considérés comme des travailleurs indépendants et travaillant dans un large éventail d’activités, la requalification se fait en général au cas par cas. Si l’on assiste à une vague législative dans le secteur du travail de plateformes, les approches nationales sont diverses et évoluent de manière inégale (Conseil de l’Union européenne, 2023), comme en témoigne l’exemple de la réglementation adoptée dans le secteur du transport présenté plus haut. À cela s’ajoute que la mise en œuvre des réformes suscite souvent une opposition ou peut avoir des conséquences inattendues, comme ce fut le cas en Espagne. La directive européenne sur le travail de plateformes est toujours en discussion et devra faire l’objet d’un suivi attentif en raison de l’étendue de son champ d’application, mais aussi de ses possibles répercussions en dehors de l’UE, des pays non membres mettant actuellement au point des règles similaires.

Les travailleurs de plateformes ayant le plus souvent le statut de travailleurs indépendants, l’amélioration de leur situation sur le plan de la sécurité sociale est indissociable de celle de la couverture des travailleurs indépendants. Dans les pays dotés d’un système complet offrant des prestations comparables aux deux catégories de travailleurs ou dans lesquels l’accès aux prestations sociales n’est pas lié au statut professionnel, la requalification a moins d’impact sur la couverture, ce qui signifie que les réformes de la sécurité sociale peuvent porter davantage sur la portabilité ou la protection transfrontalière. Enfin, bon nombre des problèmes auxquels se heurtent les travailleurs de plateformes touchent aussi des travailleurs occupant d’autres formes d’emplois précaires. Au fond, en Europe comme ailleurs, la question de l’intégration complète des travailleurs de plateformes montre combien il est important d’adapter les modèles existants pour disposer d’un cadre plus large et plus souple susceptible de s’adapter à un monde du travail changeant et comprenant des systèmes capables d’identifier, de quantifier et de regrouper les différentes sources de revenus des travailleurs (Schoukens et Weber, 2020).

Références

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EUR-lex. 2023. Mesures nationales de transposition communiquées par les États membres concernant: Directive (UE) 2021/514 du Conseil du 22 mars 2021 modifiant la directive 2011/16/UE relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal. Luxembourg, Office des publications de l'Union européenne.

Eurofound. 2021. Sharing Economy Council (Initiative) (Record number 2874, Platform Economy Database). Dublin.

Hießl, C.. 2021. «The Classification of Platform Workers in Case Law: A Cross-European Comparative Analysis», in Comparative Labor Law & Policy Journal, vol. 42, Nᵒ 2.

Ministère du Travail, du Plein Emploi et de l’Insertion. 2023. ARPE (Autorité des Relations sociales des Plateformes d’Emploi). Paris.

OIT. 2021. Emploi et questions sociales dans le monde 2021: Le rôle des plateformes numériques dans la transformation du monde du travail. Genève, Bureau international du travail.

Ombuds Office. n.d. FAQs. Francfort-sur-le-Main, Testbirds GmbH.

PwC Legal. 2022. Gig Economy 2022. Anvers et Bruxelles.

Schoukens, P.; Weber, E. 2020. Unemployment insurance for the self-employed: A way forward post-corona (IAB Discussion paper, No. 32/2020). Nuremberg, Institute for Employment Research.

Tax News Update. 2023. «France implements regulations under DAC7 with respect to digital platforms». 27 février.

Actes juridiques

Annexe A. Liste non exhaustive d’affaires portées devant les tribunaux

Chaque ligne correspond à des affaires individuelles et similaires et présente les parties impliquées et la solution apportée.

Pays Année Parties Solution
Allemagne 2019 Tribunal supérieur du travail de Munich Travailleur indépendant
2020 Tribunal fédéral du travail c. Roamler Salarié (une affaire)
Autriche 2021 Cour administrative fédérale Salarié (deux affaires)
2021 Cour administrative fédérale Travailleur indépendant (deux affaires)
Belgique 2019 Tribunal de l’entreprise de Bruxelles c. Uber Travailleur indépendant
Espagne 2018 Tribunal de Valence c. Deliveroo Salarié (une affaire)
2020 Tribunal suprême c. Glovo Salarié
France 2018 Cour de cassation, Take Eat Easy Salarié
2020 Conseil des prud’hommes de Paris, Deliveroo Salarié
2020 Cour de cassation, Uber Salarié
2021 Cour d’appel de Lyon, Uber Travailleur indépendant
2022 URSSAF v Deliveroo Salarié (sécurité sociale)
Italie 2019 Tribunal de Turin Collaborateur (troisième catégorie)
2018-2020 Tribunal du travail de Turin c. Foodora; Cour suprême Salarié
2020 Tribunal de Palerme c. Glovo Salarié
2021 Tribunal civil de Florence Travailleur indépendant
Pays-Bas 2018 Tribunal civil d’Amsterdam c. Deliveroo Travailleur indépendant
2019 Tribunaux du travail c. Deliveroo Salarié (plusieurs affaires)
2019 Tribunal civil d’Amsterdam c. Helping Travailleur indépendant
2021 Cour d’appel d’Amsterdam c. Deliveroo Salarié
2021 Tribunal local d’Amsterdam c. Uber Salarié
Royaume-Uni 2021 Cour suprême c. Uber Travailleur (worker) (troisième catégorie)
Suisse 2020 Cour d’appel du canton de Vaud c. Uber Salarié (une affaire)
2022 Tribunal fédéral c. Uber Salarié

 

Annexe B. Présentation détaillée des critères de qualification

Pays Critères tels qu’ils apparaissent dans les actes juridiques
Directive européenne (deuxième version)

Article 4
Présomption légale
1. À moins que les États membres prévoient des dispositions plus favorables conformément à l’article 20, la relation entre une plateforme de travail numérique et une personne exécutant un travail en passant par cette plateforme est légalement présumée être une relation de travail lorsque la plateforme de travail numérique exerce un contrôle et une direction sur l’exécution du travail par ladite personne.

Aux fins de l’alinéa précédent, exercer un contrôle et une direction signifie remplir, soit en vertu des conditions applicables, soit en pratique, au moins trois des critères ci-après:

(a)  la plateforme de travail numérique détermine les plafonds du niveau de rémunération;

(b)  la plateforme de travail numérique exige de la personne exécutant un travail via une plateforme qu’elle respecte des règles spécifiques en matière d’apparence, de conduite à l’égard du destinataire du service ou d’exécution du travail;

(c)  la plateforme de travail numérique supervise l’exécution du travail, y compris par des moyens électroniques;

(d)  la plateforme de travail numérique restreint, notamment au moyen de sanctions, la liberté d’organiser son travail en limitant la latitude de choisir son horaire de travail ou ses périodes d’absence;

(d bis) la plateforme de travail numérique restreint, notamment au moyen de sanctions, la liberté d’organiser son travail en limitant la latitude d’accepter ou de refuser des tâches;

(d ter) la plateforme de travail numérique restreint, notamment au moyen de sanctions, la liberté d’organiser son travail en limitant la latitude de faire appel à des sous-traitants ou à des remplaçants;

(e)  la plateforme de travail numérique restreint la possibilité de se constituer une clientèle ou d’exécuter un travail pour un tiers.

Belgique

Article 15

(…)

§ 2. Pour les plateformes numériques donneuses d’ordres, les relations de travail sont présumées jusqu’à preuve du contraire, être exécutées dans les liens d’un contrat de travail, lorsque de l’analyse de la relation de travail, il apparaît qu’au moins trois des huit critères suivants ou deux des cinq derniers critères suivants sont remplis:

  1. l’exploitant de la plateforme peut exiger une exclusivité par rapport à son domaine d’activités;

  2. l’exploitant de la plateforme peut utiliser la géolocalisation à des fins autres que le bon fonctionnement de ses services de base;

  3. l’exploitant de la plateforme peut restreindre la liberté du travailleur de plateformes dans la manière d’exécuter le travail;

  4. l’exploitant de la plateforme peut limiter les niveaux de revenu d’un travailleur de plateformes, en particulier, en payant des taux horaires et/ou en limitant le droit d’un individu de refuser des propositions de travail sur la base du tarif proposé et/ou en ne lui permettant pas de fixer le prix de la prestation. Les conventions collectives de travail sont exclues de cette clause;

  5. à l’exclusion des dispositions légales, notamment en matière de santé et de sécurité, applicables aux utilisateurs, clients ou travailleurs, l’exploitant de la plateforme peut exiger qu’un travailleur de plateformes respecte des règles contraignantes en ce qui concerne la présentation, le comportement à l’égard du destinataire du service ou l’exécution du travail;

  6. l’exploitant de la plateforme peut déterminer l’attribution de la priorité des futures offres de travail et/ou le montant offert pour une tâche et/ou la détermination des classements en utilisant des informations recueillies et en contrôlant l’exécution de la prestation, à l’exclusion du résultat de cette prestation, des travailleurs de plateformes à l’aide notamment de moyens électroniques;

  7. l’exploitant de la plateforme peut restreindre, y compris par des sanctions, la liberté d’organiser le travail, notamment la liberté de choisir les horaires de travail ou les périodes d’absence, d’accepter ou de refuser des tâches ou de recourir à des sous-traitants ou à des remplaçants, sauf, dans ce dernier cas, lorsque la loi restreint expressément la possibilité de recourir à des sous-traitants;

  8. l’exploitant de la plateforme peut restreindre la possibilité pour le travailleur de plateformes de se constituer une clientèle ou d’effectuer des travaux pour un tiers en dehors de la plateforme.

§ 3. La présomption visée au § 2 peut être renversée par toutes voies de droit, notamment sur base des critères généraux fixés dans la présente loi.

Croatie

Présomption de l’existence d’une relation d’emploi dans le cadre d’un travail exécuté par l’intermédiaire d’une plateforme de travail numérique

Article 221 m

  1. Si une plateforme de travail numérique ou un agrégateur au sens de l’article 221c de la présente loi conclut avec une personne physique un contrat en vue de l’exécution, par l’intermédiaire d’une plateforme de travail numérique, d’un travail qui, à raison de sa nature et des pouvoirs de la plateforme numérique ou de l’agrégateur, présente les mêmes caractéristiques qu’un travail exécuté dans le cadre d’une relation d’emploi, sauf preuve du contraire, ladite plateforme numérique ou ledit agrégateur est réputé avoir conclu en qualité d’employeur un contrat de travail avec le salarié.
  2. Les faits sur la base desquels l’existence d’une relation d’emploi peut être présumée au sens du paragraphe 1 du présent article sont les suivants:
    1. le travail de facturation est pris en charge;

    2. des ordres et des instructions sont donnés à la personne physique pour l’exécution du travail, dans le cadre de l’organisation du travail et de l’existence d’une subordination;

    3. la possibilité de refuser d’exécuter l’ordre est limitée ou est soumise à des sanctions lourdes ou à d’autres mesures;

    4. la plateforme définit les horaires, lieux et modalités d’exécution du travail par la personne physique, que celle-ci utilise ou non ses propres outils de travail;

    5. la plateforme supervise l’exécution du travail et assure une surveillance de la personne physique afin d’évaluer son travail et l’éventualité d’une promotion;

    6. une interdiction d’effectuer des opérations pour son propre compte ou le compte d’un tiers en utilisant les services d’autres plateformes est appliquée.

  3. La charge de la preuve incombe à la plateforme de travail numérique ou à l’agrégateur qui souhaite renverser la présomption légale prévue au paragraphe 1 du présent article.
Luxembourg

Chapitre 2. Présomption de contrat de travail entre plateforme et prestataire des services/travaux

Art. L. 371-3 Lorsque un ou plusieurs des critères suivants sont réunis:

  • la plateforme s’affiche sur le marché en proposant le(s) service(s) ou le/les travail/travaux.
  • la plateforme fixe les conditions d’accès (de la personne prestant ou étant disposée à prester le service/travail) aux services/travaux proposés et commandés par son intermédiaire par le/les bénéficiaire(s).
  • la plateforme fixe les conditions et/ou les limites de la rémunération des services/travaux.
  • la plateforme réceptionne le paiement du service/travail à rendre ou rendu par la personne prestant ou disposée à prester un service/travail par son intermédiaire.
  • la plateforme contrôle la qualité du travail/service presté par la personne prestant ou disposé à prester un service/travail par l’intermédiaire d’une plateforme.
  • la plateforme émet une classification des personnes prestant ou disposées à prester un service/travail par son intermédiaire.
  • la plateforme se charge des échanges entre le bénéficiaire et la personne prestant ou disposée à prester un service/travail par son intermédiaire.
  • la plateforme peut décider d’exclure la personne prestant ou disposée à prester un service/travail par son intermédiaire et ne plus lui accorder l’accès à la plateforme.

la personne prestant ou disposée à prester un service/travail par l’intermédiaire d’une plateforme est présumée liée à la plateforme par un contrat de travail au sens de l’article L.121-1, présomption pouvant être renversée par la plateforme en rapportant la preuve qu’il n’existe pas de contrat de travail entre les parties.

Néanmoins, lorsqu’au moins trois des critères mentionnés ci-avant sont remplis, alors l’existence du contrat de travail est établie, sans que la preuve contraire ne puisse être admise.

Malte

Article 4. Présomption légale de relation d’emploi

(...) la charge de la preuve incombe à la plateforme de travail numérique ou à l’agence de travail, selon le cas, qui conteste l’existence d’une relation d’emploi au motif qu’elle ne contrôle ni directement ni indirectement l’exécution du travail de plateformes, et ce parce qu’elle ne remplit pas au moins quatre (4) des critères suivants vis-à-vis de la personne qui exécute le travail:

  1. définition du  montant de la rémunération ou d’un niveau maximum de rémunération;
  2. obligation, pour la personne exécutant un travail par son intermédiaire, de respecter des règles spécifiques en matière d’apparence et de conduite à l’égard du destinataire du service ou en matière d’exécution du travail;
  3. supervision de l’exécution du travail ou vérification de la qualité de son résultat, y compris par des moyens électroniques;
  4. restriction, notamment au moyen de sanctions, de la liberté d’organiser son travail, de la possibilité de choisir son horaire de travail ou ses périodes d’absence, d’accepter ou de refuser des tâches ou de recourir à des sous-traitants ou à des remplaçants;
  5. restriction de la possibilité, pour le travailleur, de se constituer une clientèle ou d’exécuter un travail pour un tiers.

Toute procédure engagée relativement à ces critères n’aura pas d’effet suspensif sur l’application de la prescription légale.

Portugal

Article 12-A

1 - Sans préjudice des dispositions de l’article précédent, l’existence d’un contrat de travail est présumée dès lors que certaines des caractéristiques suivantes sont constatées concernant la relation entre le prestataire de l’activité et la plateforme numérique:

  1. la plateforme numérique fixe la rémunération au titre du travail exécuté par l’intermédiaire de la plateforme ou définit une rémunération minimum et maximum;

  2. la plateforme numérique exerce un pouvoir de direction et définit des règles précises, notamment relativement à la manière dont le prestataire se présente et se comporte vis-à-vis de l’utilisateur du service ou de l’exécution de la prestation;

  3. la plateforme numérique contrôle et supervise l’exécution de l’activité, éventuellement en temps réel, ou vérifie la qualité de son résultat, notamment par des moyens électroniques ou en faisant appel à la gestion algorithmique;

  4. la plateforme numérique limite l’autonomie du prestataire en ce qui concerne l’organisation du travail, en particulier sa liberté de choisir les horaires de travail ou les périodes d’absence, d’accepter ou de refuser des tâches ou de recourir à des sous-traitants ou à des remplaçants, à travers l’application de sanctions, et de choisir ses clients ou de fournir des services à des tiers par l’intermédiaire de la plateforme;

  5. la plateforme numérique exerce les pouvoirs d’un employeur sur le prestataire, notamment le pouvoir disciplinaire, et en particulier celui de désactiver son compte pour empêcher l’exécution future d’autres tâches;

  6. l’équipement et les outils de travail utilisés appartiennent à la plateforme ou sont mis à disposition par elle en vertu d’un contrat de location.