Un pourcentage considérable de la main-d’œuvre aux Amériques prend part à l’économie de plateforme, que ce soit comme source de revenus principale ou complémentaire. Cet article entend présenter les réformes et les évolutions qui ont exercé, ou pourraient exercer, une influence sur le statut professionnel et la protection sociale des travailleurs de plateformes dans la région.
Les plateformes offrent une grande facilité d’accès et une flexibilité (Datta et al., 2023) qui constituent une alternative aux formes d’emploi traditionnelles. En revanche, elles ouvrent également la porte à des conditions de travail irrégulières et précaires, notamment l’absence de sécurité sociale. Les mesures prises récemment dans différents pays de la région visent à combler les lacunes réglementaires et à accomplir la promesse d’une protection sociale accrue pour les travailleurs de plateformes, leur garantissant ainsi le droit fondamental à une sécurité sociale.
Les plateformes de travail numériques, selon la définition de l’Organisation internationale du Travail (OIT) (OIT, 2021), peuvent être subdivisées en plateformes en ligne et en plateformes sur site, chacune couvrant un large éventail d’activités. La relation triangulaire entre le travailleur, le client et la plateforme (en tant qu’intermédiaire), inhérente au travail de plateforme, représente un défi pour la législation du travail et de la sécurité sociale en vigueur, mais remet également en question les droits et les obligations des plateformes et des travailleurs. L’une des conséquences de cette situation est la classification courante des travailleurs de plateformes dans la catégorie des travailleurs indépendants, les privant partiellement ou totalement d’une protection du travail et des prestations de sécurité sociale (OCDE, OIT et Union européenne, 2023). L’hétérogénéité du secteur accroît en outre la complexité des procédures législatives visant à le réguler. Néanmoins, l’essor rapide de l’économie de plateforme et la confusion qu’il sème dans les relations de travail traditionnelles mettent en évidence la nécessité pour les pays de s’adapter et d’actualiser leurs cadres juridiques (ibid.).
Classification | ||
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Statut actuel | À la suite des avancées récentes | |
Argentine | Travailleurs indépendants | La réforme en cours classerait les travailleurs de plateformes hors de l’emploi traditionnel |
Brésil | Travailleurs indépendants | Le statut est en cours de discussion par le Groupe de travail tripartite |
Canada | Travailleurs indépendants | Les réformes maintiennent le statut de travailleurs indépendants |
Chili | Employés et travailleurs indépendants | La réforme plaide pour une classification comme employés ou travailleurs indépendants |
Colombie | Travailleurs indépendants | Statut en cours de discussion |
Costa Rica | Travailleurs indépendants | La proposition actuelle maintient le statut de travailleurs indépendants |
Équateur | Travailleurs indépendants | La réforme en cours classerait les travailleurs de plateformes comme des travailleurs salariés |
États-Unis | Travailleurs indépendants | Les discussions visent à instaurer un nouveau cadre de classification des emplois |
Mexique | Travailleurs indépendants | Statut en cours de discussion |
Pérou | Travailleurs indépendants | Les propositions actuelles plaident pour une classification comme employés ou travailleurs indépendants |
Uruguay | Travailleurs indépendants | Les propositions actuelles consistent à confier la classification des emplois aux plateformes |
Source: Analyse par l’auteur des données de l’AISS sur les travailleurs de plateformes. |
Protection du travailn | Couverture de sécurité sociale | ||||||||||
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Conditions de travail | Transparence des données | Cadre juridique | Mise en œuvre | ||||||||
Salaire adéquat | Temps de travail | Sécurité et santé au travail | Protection de l’emploi | Adaptation des politiques | Simplification de l’inscription et paiement des cotisations | Partage des données | Sensibilisation et information | ||||
Argentine | C | C | C | C | C | S | C | S | S | C | S |
Brézil | D | - | D | - | - | - | S | - | - | ||
Canada | R | - | D | R | R | D | - | R | - | ||
Chili | R | R | R | R | R | R | - | R | R | ||
Colombie | D | D | D | D | D | - | - | D | - | ||
Costa Rica | C | - | C | - | C | C | C | C | - | ||
Équateur | C | C | C | C | C | - | - | C | - | ||
États-Unis | R | R | R | - | R | - | - | - | - | ||
Mexique | D | - | - | - | D | D | S | - | S | ||
Pérou | C | C | C | C | C | C | C | C | - | ||
Uruguay | C | C | C | C | C | S | C | - | S | S | |
Source: Analyse par l’auteur des données de l’AISS sur les travailleurs de plateformes. Remarque: La protection transfrontalière a été omise de ce tableau, car elle n’est pas concernée par les évolutions analysées. R représente les réformes en vigueur, C les réformes en cours, D les réformes en discussion et S les instruments de sécurité sociale adaptés. Le tiret indique que cette dimension n’est pas abordée dans les mesures ou discussions en vigueur. Voir AISS (2023) pour une discussion plus approfondie des concepts et du cadre. |
Dans le prolongement du cadre proposé par l’Association internationale de la sécurité sociale (AISS, 2023) intitulé Les travailleurs de plateforme et la protection sociale: les avancées sur la scène internationale, cet article entend présenter les récentes avancées dans les Amériques. Il examine les réformes déjà en vigueur, les réformes en cours pour lesquelles une proposition législative a été soumise aux autorités compétentes et les discussions actives visant à réglementer le secteur. En outre, il étudie les pays dans lesquels les systèmes de sécurité sociale couvrent explicitement les travailleurs de plateformes. Compte tenu de l’essor rapide de l’économie de plateforme, l’évolution des avancées législatives est indiquée dans la mesure du possible.
Réformes en vigueur
Le Chili amende son Code du travail
En mars 2022, le Congrès du Chili a adopté la loi 21.431a, dont le chapitre X introduit le «Travail par le biais des plateformes de travail numériques» dans la section des Contrats spéciaux du Code du travail. Cette modification a permis de classer les fournisseurs de services sur site à la demande dans la catégorie des travailleurs salariés ou indépendants, selon les critères définis par l’article 7 dudit code, et de définir les obligations des plateformes et les exigences contractuelles pour les deux catégories de travailleurs.
La loi précise que les contrats doivent stipuler les méthodes de calcul, la forme et la périodicité du paiement des salaires. La rémunération horaire d’un travail actif doit au moins correspondre à 120 pour cent du salaire minimum proportionnel (100 pour cent pour le travail actif en tant que tel et 20 pour cent pour le temps de veille), tandis que le travail passif n’est pas rémunéré. En considérant le temps de travail comme une combinaison de travail passif et actif, elle impose des limites aux travailleurs salariés (conformément au Code du travail) tout en leur garantissant la liberté de moduler leurs horaires de travail. En ce qui concerne les travailleurs indépendants, la loi prévoit un délai de déconnexion de douze heures continues dans une période de vingt-quatre heures. En outre, les plateformes doivent offrir des formations sur la sécurité et la santé, des équipements de sécurité pour les vélos ou les motos et des assurances couvrant les dommages aux équipements de travail. Enfin, les travailleurs indépendants inscrits auprès d’une plateforme depuis six mois ou plus sont éligibles à un préavis de licenciement de trente jours et peuvent consulter leurs données dans un format structuré, générique et facilement compatible.
La loi garantit aux travailleurs salariés une assurance obligatoire contre les accidents du travail tandis que les travailleurs indépendants sont couverts sur une base volontaire. Elle étend également aux travailleurs indépendants le droit aux prestations de sécurité sociale régi par le décret-loi no 3.500. Elle assouplit les responsabilités administratives des travailleurs indépendants en matière de conformité fiscale en contraignant les plateformes à vérifier les documents, à procéder à la retenue des impôts applicables et à transmettre les données aux organismes de réglementation pour garantir un contrôle adéquat. Conformément à la réforme, les organisations administratives responsables de l’assurance contre les accidents du travail doivent désormais organiser des activités de sensibilisation et d’information en vue de communiquer aux plateformes leurs obligations en matière de sécurité et de santé, partager les informations relatives aux prestations pour les travailleurs indépendants, et promouvoir et contrôler la participation des travailleurs à des cours sur la prévention des accidents.
La législation au niveau fédéral et à l’échelle municipale aux États-Unis
Le statut fédéral des États-Unis permet de déployer diverses approches en matière de droits et de besoins des travailleurs de plateformes, tant à l’échelle des municipalités qu’au niveau de l’État.
En mars 2022, le projet de loi parlementaire no 2076 de l’État de Washington a accordé de nouveaux droits aux travailleurs de plateformes fournissant des services de transport de passagers via les sociétés de transport en réseau. Ce projet de loi maintient le statut d’indépendants des chauffeurs tout en leur garantissant des tarifs minimaux au kilomètre et à la minute, des droits aux congés de maladie rémunérés (une heure de congé rémunéré par tranche de quarante heures travaillées, calculée selon leur taux horaire moyen) et une limitation du temps de travail à quatorze heures consécutives dans une période de vingt-quatre heures. Par ailleurs, il étend les définitions d’employeur et de travailleur afin d’inclure les sociétés de transport en réseau et les chauffeurs dans les réglementations sur l’indemnisation des travailleurs. Désormais, les autorités de réglementation évalueront les primes sur la base des heures de travail réellement effectuées et des tarifs définis par les compagnies de taxi. Enfin, il instaure un mécanisme de recours pour les chauffeurs en cas de désactivation.
Dans le même État, la municipalité de Seattle est en train de mettre sur pied le projet «PayUp» (Seattle City Council, n.d.), un ensemble complet de mesures visant à garantir les protections de base pour le travail à la demande. Le premier règlement (Council Bill 120294), qui a été entériné en juin 2022 et devrait entrer en vigueur en janvier 2024, garantit un salaire minimum s’appliquant aux dépenses mais excluant les pourboires, et impose la transparence sur les salaires et les modalités de l’emploi. En outre, il oblige les plateformes à mettre leurs données à la disposition des autorités de réglementation à des fins de contrôle adéquat. Sans procéder à la classification des emplois, le projet de loi préserve et protège la flexibilité du travail, c’est-à-dire le droit de choisir librement son emploi et son horaire de travail, et proscrit toute mesure de représailles de la part de la plateforme en cas de diminution des heures de travail. Dans cet ensemble de mesures, l’instauration d’un second règlement portant sur la protection contre la désactivation de compte est en cours de discussion.
En juin 2021, l’État de l’Oregon a entériné le projet de loi parlementaire no 2393 (en vigueur depuis le 1er janvier 2022) portant sur la sécurité des chauffeurs de plateformes. Ce dernier oblige les sociétés de transport en réseau à fournir à chaque chauffeur une assurance de responsabilité civile automobile couvrant les dommages corporels. En vertu du règlement ORS 742.524, les prestations comprennent un délai de réclamation flexible ainsi que la prise en charge des dépenses (couverture médicale d’au moins 15 000 dollars des États-Unis [USD] par personne dans un délai d’au moins deux ans après l’accident) et une protection salariale (les chauffeurs peuvent réclamer jusqu’à 3 000 USD par mois pour cinquante-deux semaines de perte de revenus entre un et six ans après l’accident). Les passagers ou les piétons impliqués sont également couverts.
Canada – Loi sur les droits des travailleurs de plateformes numériques de la province de l’Ontario
En avril 2022, l’Assemblée législative de la province de l’Ontario a introduit la loi sur les droits des travailleurs des plateformes numériques (annexe 1 du projet de loi 88), qui établit des protections et des droits fondamentaux pour les travailleurs fournissant des services de covoiturage, de livraison, de courrier et d’autres services prescrits offerts par le biais de plateformes numériques. À l’issue d’une période de consultation publique (Registre de la réglementation de l’Ontario, 2023), la loi et les règlements correspondants devraient entrer en vigueur en septembre 2023 avec effet rétroactif.
La loi ne modifie pas la classification des emplois en s’appuyant sur le terme «travailleurs», mais définit un cadre normatif étendant les prestations de protection du travail. Les travailleurs de plateformes numériques percevront au moins le salaire minimum légal pour leurs heures de travail réellement effectuées lors du jour de paie tandis que les pourboires et les commissions ne seront ni retenus ni déduits. Par ailleurs, elle définit les procédures de résolution des différends (qui doivent être engagées dans la région) et interdit aux plateformes numériques de refuser l’accès à la plateforme au travailleur sans explication écrite ou préavis de suspension de deux semaines si la durée de la suspension excède vingt-quatre heures. Enfin, elle accorde aux travailleurs le droit d’accéder aux informations sur le calcul du salaire et les facteurs d’affectation de travail, en ce compris les systèmes de classement. Sans imposer la tenue d’un registre, la loi oblige les plateformes à mettre les données des travailleurs à la disposition des autorités de contrôle.
Bien qu’elle ait été promulguée, la loi sur les travailleurs de plateformes numériques n’est pas encore entrée en vigueur, car elle nécessite l’élaboration d’autres règlements. Le gouvernement provincial a ouvert une période de consultation en avril 2023 pour encourager les entités réglementées et le grand public à participer à leur élaboration (Registre de la réglementation de l’Ontario, 2023). La loi et les règlements correspondants devraient entrer en vigueur en septembre 2023 avec effet rétroactif.
Processus en cours
Projet de loi en Équateur relatif au travail sur les plateformes numériques
En janvier 2023, un projet de loi réglementant les plateformes a été approuvé pour un second débat par la Commission des droits des travailleurs et de la sécurité sociale (Comisión del Derecho al Trabajo y Seguridad Social) de l’Assemblée nationale de l’Équateur.
Le projet de loi définit des obligations pour les plateformes et les travailleurs, mais apporte également des réformes aux codes du travail et du commerce. Il vise notamment à modifier l’article 1 du Code du travail pour élargir son champ d’application aux travailleurs fournissant des services de livraison ou de distribution de produits par le biais de plateformes numériques. Il inclut également des dispositions en matière de transparence obligeant les employeurs à communiquer aux travailleurs les paramètres des algorithmes ou des systèmes d’intelligence artificielle régissant la prise de décision (conditions de travail, accès à l’emploi, maintien de l’emploi, création de postes).
La réforme porte essentiellement sur la protection du travail, la réglementation du temps de travail par le biais d’un dispositif de déconnexion garantissant un repos quotidien de douze heures continues et l’interdiction d’utiliser ce dispositif à des fins de sanction. En outre, il garantit aux travailleurs le droit à la liberté d’association, prévoit une procédure de résolution des différends et leur garantit l’accès aux informations de classement. Il oblige les plateformes à fournir aux travailleurs les équipements de protection nécessaires. Enfin, les plateformes seraient contraintes de conserver et de communiquer aux autorités de réglementation des données actualisées sur les travailleurs, les utilisateurs et les entreprises affiliées.
Projet de loi au Pérou («dictamen») sur les travailleurs salariés et indépendants de plateformes numériques
En juin 2023, la Commission du travail et de la sécurité sociale (Comisión de Trabajo y Seguridad Social) du Pérou a approuvé un projet de loi visant à reconnaître les droits du travail des travailleurs de plateformes dans les secteurs des services à la demande de livraison, de courrier et de transport.
Il classe les travailleurs dans les catégories «salariés» et «indépendants» selon le niveau de subordination et le nombre d’heures travaillées par le biais de la plateforme. Les personnes travaillant au moins quatre heures par jour (ou vingt heures par semaine) seront classées dans la catégorie «salariés»; elles devront bénéficier d’un contrat conforme en matière de salaire minimum et de réglementation du temps de travail pour les employés, mais également de tous les droits prévus par le décret législatif no 728 (assurance chômage, bonus annuel, rémunération des heures supplémentaires, congés payés). Les travailleurs indépendants seront soumis à un cadre réglementaire particulier avec un contrat garantissant la transparence du revenu potentiel. Enfin, les plateformes seront tenues d’instaurer des procédures de résolution des différends et d’ouvrir un bureau ad hoc dans chaque ville où elles exercent leurs activités.
Les plateformes numériques seront également obligées de fournir aux deux catégories de travailleurs des équipements de sécurité ainsi qu’une assurance accident, invalidité et décès. Par ailleurs, les plateformes seront tenues d’inscrire les travailleurs salariés au régime national d’assurance maladie et au régime d’assurance vieillesse de leur choix, mais également de s’assurer que les travailleurs indépendants sont en possession d’une assurance maladie valide et sont affiliés à un régime de pension public ou privé. En vue de faciliter le contrôle par les autorités du travail, les plateformes seront contraintes de tenir un registre de tous les travailleurs affiliés.
Le statut du travailleur de plateforme numérique à la demande en Argentine
En Argentine, les avancées n’en sont encore qu’au stade de la proposition. Depuis 2019, de nombreuses initiatives portant sur les besoins des travailleurs de plateformes ont été présentées par l’Assemblée et le pouvoir exécutif. Parmi les plus importants projets de loi figure le «Statut du travailleur de plateforme numérique à la demande» (Estatuto del Trabajador de Plataformas Digitales Bajo Demanda) (ministère du Travail et de la Sécurité sociale, 2020), qui vise à réglementer les relations professionnelles en dehors des régimes existants pour les indépendants et les employés. Ce cadre entend définir la réglementation en matière de salaire, de temps de travail et de transparence tout en envisageant l’instauration d’une assurance contre les accidents, d’accords de licenciement et d’une caisse d’assurance maladie. En outre, les prestations seraient définies en vertu de la législation du travail à un taux basé sur le régime spécial tandis que les plateformes seraient chargées de déclarer les revenus et de verser les cotisations. Si elles contiennent des dispositions supplémentaires ou légèrement différentes, les propositions débattues à la Chambre des députés et au Sénat abordent les mêmes aspects, et notamment la création d’un registre national des travailleurs de plateformes et l’introduction de clauses d’exclusion.
Projet de loi au Costa Rica relatif aux plateformes numériques de transport non collectif de passagers
En mai 2023, le pouvoir exécutif du Costa Rica a présenté une proposition visant à assimiler les services de taxi facilités par les plateformes numériques au système général. Les travailleurs conserveraient leur statut d’indépendants et seraient classés dans la catégorie des chauffeurs affiliés à une plateforme (Conductores Afiliados a Plataforma – CAP), les obligeant ainsi à détenir un registre et une accréditation, ce qui leur assurerait une rentabilité minimale par kilomètre. Par ailleurs, les CAP seraient tenus de s’affilier à la Caisse d’assurance sociale de Costa Rica (Caja Costarricense de Seguro Social – CCSS) dans un régime de cotisations spécialement créé et de communiquer ces informations aux plateformes lors de l’affiliation. Il leur serait également imposé de souscrire une assurance de responsabilité civile et une assurance contre les accidents du travail. Enfin, cette proposition simplifierait le recouvrement des impôts et la conformité en confiant aux plateformes la retenue de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et en créant une base de données commune sur laquelle les plateformes renseigneraient la manière dont les travailleurs s’acquittent de leurs obligations.
Projet de loi du ministère du Travail et de la Sécurité sociale en Uruguay
En Uruguay, le ministère du Travail et de la Sécurité sociale (Ministerio de Trabajo y Seguridad Social – MTSS) a présenté un projet de loi en septembre 2022 visant à instaurer des protections de base pour les travailleurs de plateformes numériques. Cette proposition concerne les travailleurs fournissant des services à la demande de livraison et de transport de passagers indépendamment de leur statut d’employés ou d’indépendants lorsque cette classification incombe à la plateforme. Elle promeut la transparence des algorithmes et des systèmes de contrôle, en mettant particulièrement l’accent sur les dispositifs de prise de décision automatisés, accorde aux travailleurs le droit de contester les changements significatifs de conditions de travail et contraint les plateformes à mettre en œuvre des mesures de prévention fondées sur l’évaluation des risques. Les employés seraient limités à quarante-huit heures de travail par semaine (actif et passif) pour la même plateforme et bénéficieraient d’une rémunération horaire ou à la tâche conforme au salaire minimum. Il convient de noter que les plateformes seraient tenues de verser des cotisations pour les travailleurs de plateformes indépendants au titre de l’assurance contre les maladies professionnelles et les accidents du travail. Ces derniers pourraient également s’affilier sur une base volontaire au Régime de la contribution unique («Monotributo») afin de percevoir des prestations de sécurité sociale supplémentaires.
Discussions ou propositions sur la table
Dans certains pays, les autorités gouvernementales ont ouvert des débats, quelquefois par le biais du dialogue social, concernant les droits des travailleurs de plateformes.
Le Groupe de travail tripartite au Brésil
D’éventuelles modifications législatives sont en cours de discussion au travers du dialogue social. Bien que le système actuel autorise les travailleurs indépendants à s’affilier à la sécurité sociale en tant que microentrepreneurs, seuls 23 pour cent des travailleurs du secteur de la livraison contribuent au régime de sécurité sociale (IPEA, 2023).
Le pouvoir exécutif s’est publiquement engagé à promouvoir le travail décent et, en vertu du décret no 11.513/2023, a mis en place un Groupe de travail tripartite chargé d’élaborer une proposition qui vise à réglementer les activités de fourniture de services, le transport de marchandises, le transport de passagers et d’autres activités exercées par le biais des plateformes numériques. Trois sous-groupes mènent une réflexion sur les thèmes suivants: les chauffeurs-livreurs, le transport de passagers, et des questions plus générales telles que l’équilibre entre la rentabilité et la dignité des travailleurs. Les sujets de la rémunération et de la sécurité et santé au travail font également l’objet de discussions au sein du sous-groupe traitant des chauffeurs-livreurs (Agencia Brasil, 2023).
Canada – La Colombie-Britannique s’engage aux côtés des travailleurs de plateformes
Au Canada, le Gouvernement de la province de Colombie-Britannique est en train de collaborer avec les travailleurs des services de véhicules de transport avec chauffeur (VTC), les travailleurs des services de livraison, les sociétés de plateformes et d’autres parties prenantes en vue d’instaurer des normes et des protections. Ce processus, amorcé fin 2022 par le ministère du Travail, a abouti à un document de travail publié en août 2023 et intitulé «Proposing Employment Standards and Other Protections for App-Based Ride-Hail and Food-Delivery Workers in British Columbia» (Proposer des protections et normes d’emploi adéquates pour les travailleurs des plateformes numériques de transport de personnes et de livraison de produits alimentaires en Colombie-Britannique). Ce document identifie quatre priorités: une rémunération équitable, une transparence sur les revenus et la destination de la course, les suspensions de comptes, et l’assurance contre les accidents du travail et la sécurité et santé au travail (govTogetherBC, n.d.). Un second cycle de participation vise à recueillir les impressions sur les thèmes définis par le document d’ici la fin du mois de septembre 2023.
Réforme du Code du travail en Colombie
En début d’année, le ministère du Travail (Ministerio del Trabajo) de la Colombie a présenté devant le Congrès un projet de réforme complète du Code du travail visant à réglementer les services de livraison par le biais des plateformes en ligne. Les modifications visées consistent à accorder aux travailleurs tous les droits et prestations dont bénéficient actuellement les travailleurs indépendants, bien qu’ils soient sous contrat spécifique, à promouvoir la transparence dans la prise de décision automatisée et à créer un registre de tous les travailleurs de plateformes de livraison. La réforme a été abandonnée en raison d’un quorum insuffisant pour le débat (huit membres de commissions sur les 21 escomptés) empêchant ainsi sa discussion avant la fin de la législature. Toutefois, le ministère devrait présenter un nouveau projet pour la législature à venir.
Forum des plateformes numériques au Mexique
Au Mexique, il existe actuellement 21 propositions de loi concernant les travailleurs de plateformes (Reporte Indigo, 2023). Les modifications proposées consistent à élargir l’application du Code du travail aux travailleurs de plateformes, réglementer les contrats de travail, assurer la transparence dans le calcul des salaires, garantir un salaire minimum et imposer l’affiliation au régime obligatoire de la sécurité sociale. Bien qu’aucun d’entre eux n’ait été approuvé, ces projets ont ouvert un espace de dialogue tel que le Forum des plateformes numériques et de la sécurité sociale du futur (Plataformas digitales y Seguridad Social del futuro – PlaDiSS) (UNAM, 2022). En outre, le secrétariat du Travail et de la Protection sociale (Secretaría del Trabajo y Previsión Social) œuvre à l’élaboration d’une réglementation pour le secteur.
Proposition de règlement du ministère du Travail des États-Unis
Au niveau fédéral, le ministère du Travail américain a publié un projet de réglementation relatif à la classification des emplois. Ce projet détermine un cadre afin d’aider les employeurs à définir les statuts professionnels en vertu de la loi sur les normes de travail équitables (Fair Labour Standards Act – FLSA). Il vise plus spécifiquement à rétablir le test de réalité économique multifactoriel et à abolir le règlement des entrepreneurs indépendants de 2021, le ministère considérant que le règlement actuel n’est pas pleinement conforme à la FLSA. Le rétablissement du test de réalité économique vise à déterminer «si un travailleur est économiquement dépendant de son employeur ou s’il travaille pour son propre compte» (Wage and Hour Division, 2022). Le règlement proposé n’accorderait pas automatiquement aux travailleurs de plateformes le statut d’employés, mais leur donnerait un argument de poids en faveur de cette classification. L’obtention du statut d’employés les rendrait éligibles aux protections mises en œuvre par le ministère du Travail telles que le salaire minimum fédéral, la rémunération des heures supplémentaires, la protection contre les discriminations et l’assurance chômage.
Adaptation des systèmes existants
Il convient de noter que dans certains pays, même en vertu du cadre législatif en vigueur, les travailleurs de plateformes peuvent bénéficier des prestations de sécurité sociale grâce à des programmes et stratégies clés développés par les autorités de réglementation ciblant explicitement leur secteur économique.
L’Argentine et la contribution unique
Actuellement, les travailleurs de plateformes argentins peuvent s’affilier et cotiser, en tant que travailleurs indépendants, à un régime de contribution unique («Monotributo»). Celui-ci est un régime intégré avec un taux fixe unique couvrant à la fois l’impôt sur le revenu et les cotisations de sécurité sociale. Il sert à formaliser les travailleurs tout en leur fournissant des prestations de sécurité sociale, dont la couverture des soins de santé pour les salariés. Les plateformes, quant à elles, officialisent la formalisation en exigeant des documents fiscaux de la part des travailleurs.
Formalisation des travailleurs de l’économie du partage en Uruguay
En 2017, la Banque d’assurance sociale (Banco de Previsión Social – BPS) de l’Uruguay a déployé une stratégie visant à formaliser les travailleurs de l’économie de partage. À cette fin, elle a élaboré une procédure à plusieurs volets comprenant des modifications législatives qui imposent des réglementations fiscales aux services de transport de passagers. Ces dernières stipulent les règles en matière de temps de travail, et imposent aux chauffeurs la détention d’un permis, la souscription d’une assurance de responsabilité civile et le respect des règles fiscales et d’assurance sociale applicables à leur activité économique, au même titre que le Régime de la contribution unique propre à l’Uruguay. La procédure repose sur une coordination interinstitutionnelle entre les institutions publiques et les sociétés privées permettant d’utiliser les technologies avancées des plateformes pour contrôler et inspecter les processus, prévenir l’évasion fiscale et assurer le paiement des cotisations de sécurité sociale. Conformément à l’accord conclu avec les sociétés, les chauffeurs ne peuvent pas exercer cette activité de manière régulière s’ils ne sont pas enregistrés auprès des autorités fiscales et de la BPS.
Programme pilote de couverture volontaire par la sécurité sociale au Mexique
Au Mexique, les travailleurs de plateformes sont actuellement classés comme indépendants et sont éligibles aux prestations de sécurité sociale en vertu d’un programme pilote géré par l’Institut mexicain d’assurance sociale (Instituto Mexicano del Seguro Social – IMSS). Ce programme permet une affiliation volontaire au régime obligatoire. Dans le cadre d’un accord conclu entre l’IMSS et les plateformes Uber, Beat, Didi et Rappi, ces dernières mènent des campagnes d’information afin de promouvoir l’affiliation au régime à un taux de cotisation journalier de 40 pesos mexicains (MXN), en mettant l’accent sur six prestations d’assurance sociale (maladie, maternité, accidents du travail, invalidité, vieillesse et prestations familiales). Ce régime couvre également les membres de la famille à charge (IMSS, 2021).
Conclusions
Les initiatives visant à réglementer l’économie de plateforme dans les Amériques s’inscrivent parfaitement dans la lignée des tendances mondiales. L’absence de cadre juridique permettant d’étendre les protections du travail et la sécurité sociale à ces travailleurs a engendré une protection limitée, à laquelle les avancées récentes tentent de remédier.
Compte tenu de la complexité de l’économie de plateforme, il n’existe pas d’uniformité dans les approches déployées, lesquelles vont des réformes du Code du travail à la distinction des régimes de sécurité sociale en passant par des réglementations ciblant un besoin ou une lacune spécifiques. En outre, la classification des emplois ne fait pas l’objet d’un consensus et, de fait, le statut des travailleurs de plateformes varie d’une juridiction à l’autre, quelquefois dans le même pays.
Le suivi continu des évolutions révèle la grande diversité des priorités qui animent la législation sur le travail de plateforme. La quasi-totalité des cas présentés concerne exclusivement le travail de plateforme sur site, par opposition au travail de plateforme en ligne, et fait souvent référence à des catégories spécifiques tels que les services de livraison et de taxi. De la même manière, quelle que soit la classification des emplois, la rémunération adéquate, la sécurité et la santé au travail ainsi que la transparence des données figurent au rang des aspects les plus réglementés.
Enfin, il est important de mettre en évidence les cas où, au lieu de réglementer le travail de plateforme, les systèmes de sécurité sociale se sont adaptés pour offrir aux travailleurs un certain niveau de prestations, généralement en facilitant leur affiliation aux régimes en vigueur pour les indépendants. Dans chacun de ces cas, la collaboration entre les institutions publiques et les plateformes a joué un rôle crucial dans la formalisation des travailleurs et le versement des prestations.
Références
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IPEA. 2023. Apenas 23% dos trabalhadores de transporte por aplicativo contribuem para o INSS. Brasilia, Instituto de Pesquisa Econômica Aplicada.
OCDE; OIT; Union européenne. 2023. Handbook on measuring digital platform employment and work. Paris, Éditions OCDE.
OIT. 2021. Emploi et questions sociales dans le monde 2021: Le rôle des plateformes numériques dans la transformation du monde du travail. Genève, Bureau international du travail.
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Reporte Indigo. 2023. Regulación para aplicaciones, en camino pero con retrasos ante resistencias. Mexico.
Seattle City Council. (n.d.). PayUp Legislation. Seattle, WA.
UNAM. 2022. Foro "Plataformas digitales y Seguridad Social del futuro (PlaDiSS)". Mexico, Universidad Nacional Autónoma de México (Instituto de Investigaciones Jurídicas).
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Lois
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House Bill 2393 Relating to motor vehicle liability insurance coverage; creating new provisions; and amending ORS 742.518 and 742.520. États-Unis d'Amérique. Assemblée législative de l'État de l'Oregon.
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Proyecto de Ley Relativa al Régimen de Trabajo en Plataformas Digitales (Tramite Unificado / 408117). Équateur. Assemblée nationale.
Dictamen Recaído en los Proyectos de Ley 018/2021-CR, 667/2021-CR; 842/2021-CR; y 1536/2021-CR, Ley de los Trabajadores Dependientes e Independientes de las Plataformas Digitales. Pérou. Congrès péruvien.
Decreto Legislativo N° 728, Ley de Productividad y Competitividad Laboral. Pérou. République du Pérou.
Proyecto de Ley Servicios de Entrega de Bienes o Transporte Urbano y Oneroso de Pasajeros. Uruguay. Chambre des représentants.
Estatuto del Trabajador de Plataformas Digitales Bajo demanda. Argentine.
Estatuto del Trabajador de Plataformas Tecnológicas. Argentine. Chambre des députés.
Proyecto de Ley que crea el Régimen especial de contrato de trabajo para personas Trabajadoras de Plataformas Digitales. Argentine. Sénat.
Decree N° 11.513 of 1 of May of 2023 Establishes a Working Group with the purpose of drawing up a proposal to regulate the activities of providing services, transportation of goods, transportation of people and other activities carried out through technological platforms. Brésil. République du Brésil.
Decreto N° 36.197 de 22 de diciembre de 2016. Uruguay. Assemblée départementale de Montevideo.