Les accords internationaux de sécurité sociale en Europe

Les accords internationaux de sécurité sociale en Europe

Alors que les premiers accords internationaux de sécurité sociale ont été mis en place dans les années quarante, voire avant, il existe aujourd’hui 627 accords bilatéraux et 19 accords multilatéraux en vigueur. Les pays et territoires européens constituent 80 pour cent d’entre eux. Dans cet article, l’Association internationale de la sécurité sociale (AISS) étudie l’évolution de ces accords, plus particulièrement pour les pays européens signataires, au vu des flux migratoires croissants et de la diversité des formes de la migration de main-d’œuvre.

Le nombre de travailleurs migrants dans le monde augmente: en 2019, ils représentaient 169 millions de travailleurs et environ 62 pour cent des migrants internationaux (BIT, 2020). Alors que les migrations avaient été ralenties par la crise de la COVID-19, les flux migratoires ont depuis connu une reprise solide (Benton et al., 2024). Bien qu’ils contribuent de façon significative au marché du travail et à la société de leur pays d’accueil, les travailleurs migrants sont souvent confrontés à des difficultés pour accéder aux prestations de sécurité sociale (Kazi-Aoul et al., 2023). Ces difficultés viennent du fait qu’ils sont dans l’incapacité de remplir les conditions requises, telles que le nombre d’années d’affiliation/de résidence et la condition de nationalité (BIT, AISS, CIF, 2021).

De plus, les travailleurs détachés, qui travaillent pendant une période limitée sur le territoire d’un autre État que celui dans lequel ils travaillent habituellement, doivent respecter les réglementations relatives à la sécurité sociale des deux pays, ce qui peut les conduire à devoir payer deux fois leurs cotisations.

Les pays peuvent prendre diverses mesures pour traiter ces questions, améliorer la protection sociale des travailleurs migrants et encourager leur formalisation ainsi que le respect des réglementations relatives aux cotisations de sécurité sociale. D’une part, les pays peuvent appliquer des mesures unilatérales telles que la réduction de la durée des périodes minimales requises pour l’ouverture des droits, le fait de ne pas appliquer de condition de nationalité pour l’accès aux prestations de sécurité sociale et celui de faciliter les paiements vers l’étranger. D’autre part, deux pays ou plusieurs peuvent signer des accords internationaux pour coordonner les réglementations relatives à la sécurité sociale (Kazi-Aoul et al., 2023; BIT, AISS, CIF, 2021; AISS, 2022).

En tant qu’élément juridique fondamental, les accords de sécurité sociale présentent un potentiel immense d’amélioration de la portabilité des droits sociaux. La portabilité est le maintien des droits acquis et des droits en cours d’acquisition d’un travailleur dans des pays différents. Ces accords garantissent que les périodes d’emploi dans les pays signataires sont prises en compte pour obtenir des prestations sociales et facilitent donc l’accès à celles-ci. L’un des moyens utilisés consiste à totaliser la somme des périodes travaillées. En définissant la législation applicable, ces accords jouent aussi un rôle essentiel pour éviter que les travailleurs qui sont détachés de façon temporaire dans un pays différent du leur ne paient leurs cotisations deux fois. Cela contribue à leur formalisation et au respect du paiement des cotisations de la part des employeurs (BIT, AISS, CIF, 2021; AISS, 2022). La plupart des accords internationaux de sécurité sociale sont bilatéraux, c’est-à-dire conclus entre deux pays, mais certains sont multilatéraux et permettent à plusieurs pays de coordonner certaines parties de leurs régimes de sécurité sociale.

Les accords de sécurité sociale diffèrent par leur ampleur et leurs dispositions. Les branches de la sécurité sociale qui sont le plus souvent intégrées dans un accord sont les branches vieillesse, invalidité et les prestations de survivants (BIT, AISS, CIF 2021). Certains accords de sécurité sociale ont un champ d’application plus limité. Par exemple, ils incluent des dispositions sur l’accès aux prestations de sécurité sociale, mais aucune permettant d’éviter que les travailleurs détachés ne paient deux fois leurs cotisations, et inversement (AISS, 2022).

Les pays et les territoires européens constituent une des parties, ou les deux parties, de 84 pour cent des accords de sécurité sociale bilatéraux en vigueur dans le monde. Ils ont recours à cet outil en partie en raison de l’importance de la migration dans cette région du monde et du fait qu’ils disposent de systèmes de sécurité sociale plus anciens et plus développés. En 2023, dans l’Union européenne (UE), 6,1 pour cent des résidents étaient des citoyens non ressortissants de l’UE. Il s’agit d’une tendance croissante, les flux de migrants non ressortissants de l’UE ayant augmenté de 117 pour cent entre 2021 et 2022 (EuroStat, 2024). De plus, parmi les citoyens de l’UE, 3,8 pour cent des personnes en âge de travailler résident dans un pays de l’Union européenne autre que celui dont elles ont la nationalité, 1,7 million d’entre elles sont des travailleurs transfrontaliers (des personnes qui travaillent dans un pays et vivent dans un autre) et 4,6 millions sont des travailleurs détachés (Parlement européen, 2024).

Encadré 1. Pays et territoires que l’AISS considère comme européens

Pour l’AISS, l’Europe couvre les pays et les territoires suivants:

 

Déplier 
  • Albanie
  • Allemagne
  • Andorre
  • Arménie
  • Autriche
  • Azerbaïdjan
  • Belgique
  • Bosnie-Herzégovine
  • Bulgarie
  • Bélarus
  • Croatie Chypre
  • Danemark
  • Espagne
  • Estonie
  • Finlande
  • France
  • Fédération de Russie
  • Grèce
  • Guernesey
  • Géorgie
  • Hongrie 
  • Île de Man*
  • Irlande
  • Islande
  • Israël
  • Italie
  • Jersey
  • Kazakhstan
  • Lettonie
  • Liechtenstein
  • Lituanie
  • Luxembourg 
  • Macédoine du Nord
  • Malte
  • Monaco
  • Monténégro
  • Norvège
  • Ouzbékistan
  • Pays-Bas
  • Pologne
  • Portugal
  • Roumanie
  • Royaume-Uni
  • République de Moldova
  • République kirghize
  • République du Kosovo
  • République tchèque
  • Saint-Marin
  • Serbie
  • Slovaquie
  • Slovénie Suède
  • Suisse
  • Tadjikistan
  • Turkménistan
  • Türkiye
  • Ukraine

* Pour les besoins de cette analyse, l’Île de Man a été exclue de la liste, car le Royaume-Uni l’inclut dans la définition du territoire du Royaume-Uni pour la plupart des accords de sécurité sociale (sauf dans les accords entre le Royaume-Uni et l’Île de Man).

Cet article étudie l’évolution et la situation actuelle des accords bilatéraux et multilatéraux, avec une attention particulière portée aux accords impliquant des pays et des territoires européens.

Les accords bilatéraux et multilatéraux dans le monde: une évolution au fil du temps

À l’échelle de la planète, c’est en Europe que l’on trouve le plus grand nombre d’accords de sécurité sociale bilatéraux. Dans le monde, 526 des 627 accords bilatéraux actuellement en vigueur comptent comme signataire un pays européen (soit 84 pour cent). On constate dans le graphique 1 que le nombre d’accords de sécurité sociale bilatéraux a augmenté d’environ 7 pour cent par an en moyenne au cours des 80 dernières années. L’augmentation du nombre d’accords impliquant des pays européens correspond à cette tendance mondiale.

Graphique 1. Nombre total d’accords de sécurité sociale bilatéraux au fil du temps, par région des pays impliqués (une partie ou les deux parties à l’accord)

Source: AISS. À paraître.
Remarque: Ce graphique montre les accords de sécurité sociale qui sont encore en vigueur, aussi de nombreux accords qui avaient été conclus entre des pays européens par le passé ne sont pas pris en compte, car ces questions sont désormais régies par des réglementations de l’UE. 

Actuellement, 123 pays et territoires du monde entier (61 pour cent) sont signataires d’au moins un accord bilatéral en vigueur. Comme le montre le graphique 2, le nombre de pays et de territoires impliqués dans des accords bilatéraux a augmenté au fil du temps, même si on constate un ralentissement marqué au cours des dix dernières années. Cela peut paraître contradictoire avec la croissance continue du nombre d’accords, mais cela peut s’expliquer par le fait que ces accords tendent à être conclus entre les mêmes pays. On peut considérer que c’est une manifestation de la polarisation entre les pays qui ont des accords et ceux qui n’en ont pas. À cet égard, l’Europe est un cas particulier, car dans cette région, presque tous les pays (95 pour cent) sont impliqués dans au moins un accord bilatéral.

Graphique 2. Nombre total de pays impliqués dans des accords bilatéraux au fil du temps, par région

Source: AISS, à paraître.
Remarque: Le nombre total de pays et de territoires du monde entier pris en compte dans cette analyse est de 203, dont 57 pour l’Europe (voir note de bas de page plus haut), 51 pour l’Asie/Pacifique, 54 pour l’Afrique et 41 pour l’Amérique.

Le nombre de pays et de territoires qui sont impliqués dans des accords multilatéraux a aussi augmenté au fil du temps (voir graphique 3). Actuellement, 98 pays et territoires du monde entier (48 pour cent) ont au moins un accord multilatéral en vigueur, et 77 pour cent des pays européens sont parties à un accord de ce type. Si l’on considère les accords bilatéraux et les accords multilatéraux, on constate que 74 pour cent des pays du monde ont au moins un accord bilatéral ou multilatéral, et 100 pour cent des pays européens sont parties à un accord. Les tendances régionales sont consistantes, quel que soit le type d’accord, l’Europe ayant le plus de probabilité d’avoir un accord, suivie par les Amériques, l’Afrique et l’Asie/Pacifique.

Graphique 3. Pourcentage de pays ou de territoires impliqués dans un accord, par région et par type d’accord

Source: AISS, à paraître.

Les accords bilatéraux impliquant des pays européens

La région des pays signataires

En Europe, jusqu’en 1965, les accords de sécurité sociale bilatéraux étaient tous intrarégionaux (voir graphique 4). Le nombre d’accords interrégionaux a augmenté progressivement depuis les années soixante-dix. Le nombre d’accords conclus avec des pays africains et américains a progressé à un rythme similaire dans les années soixante-dix et quatre-vingt, et pour chacune de ces régions, le nombre d’accords représentait environ 20 pour cent des accords bilatéraux en 1985. Cependant, depuis, le nombre d’accords conclus avec des pays africains n’a pas progressé autant que celui des nouveaux accords avec les pays des Amériques et d’Asie/Pacifique qui a augmenté progressivement depuis 1995. Actuellement, en Europe, les accords sont intrarégionaux à 40 pour cent et les accords interrégionaux en vigueur ont été conclus avec des pays des Amériques (28 pour cent), d’Asie/Pacifique (22 pour cent) et d’Afrique (11 pour cent). Le développement des systèmes de sécurité sociale, les flux de main-d’œuvre et les flux migratoires, la répartition des employeurs entre les pays ainsi que des considérations politiques jouent un rôle lors de la mise en place d’accords de sécurité sociale.

Graphique 4. Nombre d’accords bilatéraux impliquant des pays européens, par région de l’autre pays signataire

Source: AISS, à paraître.

Un accès facilité aux prestations de sécurité sociale

Une des fonctions principales des accords de sécurité sociale est de faciliter l’accès aux prestations de sécurité sociale, que ce soit par le biais du maintien des droits en cours d’acquisition (aussi appelé totalisation) ou par d’autres moyens (BIT, AISS, CIF, 2021). De telles dispositions permettent de cumuler les périodes minimales requises réalisées sous différents régimes de sécurité sociale afin d’agréger ces périodes (d’assurance, d’emploi ou de résidence), de maintenir ou de recouvrer des droits et de partager les coûts des prestations payées (BIT, AISS, CIF, 2021).

Presque tous les accords bilatéraux impliquant des pays européens permettent de faciliter l’accès à des prestations de sécurité sociale (96 pour cent), même si cela est légèrement moins courant dans le cadre des accords conclus avec des pays d’Asie/Pacifique (89 pour cent) (voir graphique 5). Les accords conclus avec des pays de toutes les régions ont plus de probabilité de faciliter l’accès aux pensions (95 pour cent) qu’à d’autres prestations. Cela est dû au fait que les périodes minimales requises pour les pensions de vieillesse, d’invalidité et de survivants sont longues, ce qui rend nécessaire un accès facilité. C’est aussi dû au fait que ces branches de la sécurité sociale constituent depuis longtemps une composante bien développée des systèmes de sécurité sociale. Les accords Europe-Europe et Europe-Afrique sont également ceux qui ont le plus de probabilité de faciliter l’accès à d’autres branches de la sécurité sociale, puisque plus de 50 pour cent des accords couvrent d’autres branches (sauf l’assurance-chômage). Les accords avec des pays des Amériques et d’Asie/Pacifique ont en revanche beaucoup moins de probabilité de couvrir d’autres branches, c’est le cas de moins d’un tiers des accords.

Graphique 5. Accès facilité par branche dans le cadre des accords bilatéraux impliquant des pays européens, par région de l’autre pays signataire

Source: AISS, à paraître.

En dehors des pensions, la branche dont l’accès est le plus communément facilité est celle des accidents du travail, 56 pour cent de tous les accords facilitant l’accès à cette branche. Cela est inclus dans presque tous les accords Europe-Europe et Europe-Afrique (85 pour cent et 79 pour cent, respectivement). Les branches maladie et maternité suivent, avec 48 pour cent et 46 pour cent des accords, et elles sont encore une fois beaucoup plus souvent incluses dans les accords Europe-Europe et Europe-Afrique. Les branches dont l’accès est le moins souvent facilité sont les branches famille, soins de santé et chômage, avec 37 pour cent, 31 pour cent et 27 pour cent de tous les accords qui facilitent l’accès à ces branches, respectivement. Ces chiffres sont beaucoup plus faibles pour les accords avec des pays des Amériques et d’Asie/Pacifique.

Graphique 6. Accès facilité par un pays tiers à des prestations de sécurité sociale dans le cadre d’accords bilatéraux impliquant des pays européens, en 2024, par région de l’autre pays signataire

Source: AISS, à paraître.

Certains accords de sécurité sociale bilatéraux permettent d’agréger des périodes réalisées dans des pays tiers si les pays signataires ont conclu des accords bilatéraux avec le pays tiers concerné. Si c’est le cas d’un seul des pays signataires, la clause du pays tiers ne peut s’appliquer qu’aux personnes (ayant la nationalité ou assurées) qui sont couvertes par l’accord avec le pays tiers (BIT, 2012). L’accès facilité aux prestations de sécurité sociale liées à des périodes réalisées dans des pays tiers existe dans environ un tiers des accords (36 pour cent). Cet accès est beaucoup plus commun dans les accords Europe-Europe (43 pour cent) que dans les accords avec des pays d’Asie/Pacifique (25 pour cent) (voir graphique 6). Au fil du temps, de plus en plus d’accords bilatéraux impliquant des pays européens ont inclus l’accès facilité aux prestations de sécurité sociale liées à des périodes réalisées dans des pays tiers, avec plus de la moitié (57 pour cent) des accords négociés ou renégociés depuis 2010 qui incluent de telles dispositions (voir graphique 7). Il est important de noter que les détails de la «clause du pays tiers» peuvent varier en fonction de l’accord et des pays impliqués.

Graphique 7. Pourcentage des accords incluant une clause du pays tiers pour la totalisation des périodes réalisées dans un pays tiers (accords bilatéraux impliquant des pays européens)

Source: AISS, à paraître.

Le détachement des travailleurs

Il arrive qu’un employeur basé dans un pays envoie un employé travailler de façon temporaire dans un autre pays. Ces employés sont appelés des travailleurs détachés. Alors que la plupart des pays exigent que toutes personnes employées sur leur territoire paient des cotisations de sécurité sociale, les travailleurs détachés bénéficient souvent d’exemptions. Cela leur permet de continuer à payer des cotisations dans le pays où leur employeur exerce habituellement son activité et d’être exemptés de payer des cotisations dans le pays où ils sont détachés. De telles exceptions ne peuvent évidemment pas durer indéfiniment et les pays se mettent d’accord pour définir la durée de ce type de détachement, en fixant une durée initiale et maximale de détachement.

Dans l’UE, les règles portant sur la sécurité sociale des travailleurs détachés sont définies par la Directive concernant le détachement des travailleurs et le Règlement n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale qui seront présentés plus bas. Il est courant de trouver des dispositions concernant le détachement des travailleurs dans les accords bilatéraux impliquant des pays européens (89 pour cent). Ils sont aussi plus fréquents dans les accords interrégionaux que dans les accords intrarégionaux (voir graphique 8). Ces dispositions existent dans 99 pour cent des accords conclus avec des pays des Amériques, 91 pour cent de ceux conclus avec l’Asie/Pacifique et 88 pour cent des accords conclus avec l’Afrique, alors qu’elles n’existent que dans 81 pour cent des accords Europe-Europe. Il existe une différence régionale claire en matière de période d’exemption, et les accords conclus avec des pays d’Asie/Pacifique et des Amériques sont beaucoup plus susceptibles de définir des périodes d’exemption totale longues, de cinq ans ou plus (70 et 52 pour cent, respectivement). On trouve plus souvent des périodes d’exemption plus courtes dans les accords Europe-Europe et Afrique-Europe. Plus de la moitié des accords concernant ces régions définissent des périodes d’exemption pouvant aller jusqu’à trois ans, mais qui sont le plus souvent de deux ans (35 pour cent des accords Europe-Europe et 25 pour cent des accords Afrique-Europe).

Graphique 8. Détachement des travailleurs dans le cadre des accords impliquant des pays européens, durée totale de la période d’exemption, par région de l’autre pays signataire

Source: AISS, à paraître.
Remarque: Environ un tiers des accords bilatéraux impliquant des pays européens (32 pour cent) définissent une période initiale d’exemption plus courte pour les travailleurs détachés. Nous présentons ici la période totale de détachement (incluant les prolongations).

De nombreux accords prévoient également des dispositions concernant le détachement des travailleurs indépendants (voir graphique 9). Des dispositions afférentes aux travailleurs indépendants figurent dans 32 pour cent des accords impliquant des pays européens (alors que des dispositions similaires pour les salariés figurent dans 89 pour cent des accords, comme indiqué plus haut). Pour ce groupe de travailleurs, une exemption de deux ans est la situation la plus courante dans toutes les régions, à l’exception de l’Asie/Pacifique.

Graphique 9. Détachement des travailleurs indépendants dans le cadre des accords bilatéraux impliquant des pays européens, période totale d’exemption, par région de l’autre pays signataire

Source: AISS, à paraître.

Les accords multilatéraux impliquant des pays européens

Les règlements de l’Union européenne

L’UE dispose du cadre légal le plus complet au monde en matière de coordination de la sécurité sociale, à la fois du point de vue du champ d’application matériel et du point de vue du champ d’application personnel. Le développement précoce et complet de la coordination de la sécurité sociale au sein de l’UE découle de son principe fondateur de libre circulation des personnes et de la protection des droits à la sécurité sociale. Cela signifie que les personnes qui exercent leur droit de circuler librement ne doivent pas voir leurs droits à la sécurité sociale compromis. La coordination de la sécurité sociale est un enjeu important dans la région depuis les débuts de la Communauté économique européenne. La première réglementation sur ce sujet est entrée en vigueur en janvier 1959 (Règlement CEE n° 3/1958). Actuellement, deux textes juridiques sont en vigueur: le Règlement (CE) n° 883/2004 et le Règlement d’application (CE) n° 987/2009. Ils s’appliquent à tous les membres de l’UE ainsi qu’à l’Islande, au Liechtenstein et à la Norvège sur la base de l’Accord sur l’Espace économique européen (EEE), à la Suisse sur la base de l’Accord sur la libre circulation des personnes entre la Suisse et l’UE, et aux citoyens du Royaume-Uni qui avaient migré avant la fin de la période de transition du Brexit (31 décembre 2020) sur la base de l’Accord de retrait entre l’UE et le Royaume-Uni. Cela en fait les instruments de coordination qui comptent le plus grand nombre de parties signataires au monde. Les règlements de l’UE sont aussi uniques au sens où ce sont des actes juridiquement contraignants qui prévalent sur les accords multilatéraux et la législation nationale (Nickless et Siedl, 2005). Les pays restent toutefois libres de déterminer qui est assuré dans le cadre de leur législation ainsi que le type de prestations fournies et les conditions nécessaires à leur obtention (BIT, 2010, p. 1).

Les règlements de l’UE sont très complets et couvrent divers aspects de la mobilité de la main-d’œuvre tels que le détachement, le travail saisonnier, les travailleurs frontaliers et les trajets pour se rendre au travail (voir tableau 1 ci-dessous). Ces règlements ne protègent pas seulement les travailleurs, mais aussi les personnes qui circulent pour d’autres raisons, telles que les soins de santé programmés, les vacances ou la retraite. Le champ d’application personnel de ces règlements est assez large et inclut les salariés, les travailleurs indépendants, les étudiants, les fonctionnaires et les personnes inactives. Cela va plus loin que la plupart des autres instruments multilatéraux et bilatéraux qui couvrent généralement seulement les personnes actives économiquement et leurs familles.

Le champ d’application matériel de ces règlements est large et comprend les neuf branches de la sécurité sociale telle que définies dans la Convention (n° 102) concernant la sécurité sociale (norme minimum), 1952, et inclut certaines prestations non contributives ainsi que des prestations contributives. Ces règlements couvrent expressément les prestations de préretraite, de paternité et les allocations de décès. Bien qu’ils ne couvrent pas expressément les soins de longue durée, la Cour de Justice de l’Union européenne a statué que, dans certains cas, ceux-ci peuvent être considérés comme des prestations de maladie aux fins de la coordination.

Les autres accords multilatéraux impliquant des pays européens

Hormis les règlements de l’UE, cinq autres accords multilatéraux sont actuellement en vigueur et impliquent des pays de l’UE. En premier lieu, la Convention européenne de sécurité sociale qui couvre la Türkiye et sept États membres de l’UE (voir le tableau 1 pour la liste). Elle est entrée en vigueur après trois ratifications en 1977 et peut être ratifiée par n’importe lequel des 46 États membres du Conseil de l’Europe. À l’époque où elle a été signée, c’était le mécanisme de coordination le plus complet qui existait et il couvrait de nombreuses branches (voir le tableau 1), avec un large champ d’application personnel (comprenant les salariés, les travailleurs indépendants et les personnes inactives). Il faut noter que l’application de certaines dispositions dépend d’accords bilatéraux complémentaires.

Les pays nordiques ont aussi conclu une Convention distincte pour compléter les règlements de la Commission européenne, en particulier concernant l’assistance sociale et les services sociaux, facilitant ainsi les transferts de droits et la mobilité des personnes. Depuis la sortie du Royaume-Uni de l’UE et l’Accord de retrait entre l’UE et le Royaume-Uni, deux accords ont été conclus: l’Accord de commerce et de coopération UE-Royaume-Uni et la Convention sur la sécurité sociale EEE-Royaume-Uni, qui prévoient des dispositions relatives aux travailleurs détachés et à la totalisation (en plus d’un accord bilatéral entre le Royaume-Uni et la Suisse). Enfin, le Portugal et l’Espagne sont parties à la Convention multilatérale ibéro-américaine sur la sécurité sociale de 2011 qui est un cas unique au monde, car il dépasse les frontières régionales (voir le tableau 1 pour le champ d’application matériel). Aucun autre accord multilatéral interrégional n’est actuellement en vigueur. Une fois entrée en vigueur, la Convention de la Communauté des pays de langue portugaise (CPLP), signée par neuf pays, dépassera aussi les frontières régionales.

Il existe aussi trois accords entre des pays européens non membres de l’UE, à savoir: 1) l’Accord de 1992 sur les pensions pour les citoyens des États membres de la Communauté des États indépendants (CEI) qui couvre huit pays de la CEI;2) l’Accord de 1994 sur les accidents du travail pour les citoyens de la Communauté des États indépendants, en vigueur dans dix pays (1995-1996); et 3) l’Accord sur les pensions pour les employés des États membres de l’Union économique eurasiatique, qui est entré en vigueur dans cinq pays en 2021.

Tableau 1. Récapitulatif des accords multilatéraux impliquant des pays européens
Nom de l’accordDate d’entrée en vigueurPays appliquant les accords [1]Dispositions sur le détachement (nb de mois)Branches couvertes pour un accès facilité aux prestations
SalariésTravailleurs indépendantsVieillesseInvaliditéSurvivantsAccidents du travailMaladieMaternitéSoins de santéChômageFamille
Convention européenne de sécurité sociale1977+812-24  
Accord sur les pensions pour les citoyens de la Communauté des États indépendants199282         
Accordt sur les accidents du travail pour les citoyens de la Communauté des États indépendants1995+10         
Règlement (CE) de l’UE n° 883/2004 et n° 987/20092010+3132424 
Accord de commerce et de coopération UE-Royaume-Uni2021282424  
Convention sur la sécurité sociale EEE-Royaume-Uni202442424  
Accord multilatéral ibéro-américain de sécurité sociale2011+1312-2412      
Convention nordique de sécurité sociale20145   
Accord sur les pensions pour les salariés des États membres de l’Union économique eurasiatique20215        

Source: AISS, à paraître.

Remarques:

  1. Il est courant que des pays signent un accord, mais ne l’appliquent pas. C’est le cas de: a) la France, la Grèce, l’Irlande, la République de Moldova et la République tchèque pour la Convention européenne de sécurité sociale; b) la République de Moldova pour l’Accord sur les pensions de la CEI; c) la Géorgie et le Turkménistan pour l’Accord sur les accidents du travail de la CEI; et d) le Costa Rica et le Venezuela pour l’Accord ibéro-américain.
  2. La Russie s’est retirée de l’Accord sur les pensions de 1992 en janvier 2023, mais attribue et paie des prestations pour la durée de service réalisée avant cette date.
  3. Les Règlements de l’UE s’appliquent à l’Islande, au Liechtenstein et à la Norvège sur la base de l’Accord de l’EEE (à compter du 1er juin 2012, les Règlements n° 883/2004 et n° 987/2009 s’appliquent et à compter du 2 février 2013, le Règlement n° 465/2012 s’applique), ainsi qu’à la Suisse sur la base de l’Accord sur la libre circulation des personnes entre la Suisse et l’UE (à compter du 1er avril 2012, les Règlements n° 883/2004 et n° 987/2009 s’appliquent).

Considérations finales

Le nombre de pays impliqués dans des accords bilatéraux et multilatéraux a nettement augmenté au cours des soixante dernières années. Actuellement, tous les pays et territoires européens sont impliqués dans au moins un accord international de sécurité sociale et sont parties à 84 pour cent des accords bilatéraux en vigueur dans le monde. Par le passé, beaucoup de ces accords étaient des accords intrarégionaux, mais de plus en plus d’accords bilatéraux sont intrarégionaux, en particulier depuis que les règlements de la Commission européenne ont pris en charge une grande partie de la coordination intrarégionale.

L’accès facilité aux prestations de sécurité sociale est un élément majeur des accords internationaux qui impliquent des pays européens. Tous les accords multilatéraux et presque tous les accords bilatéraux (96 pour cent) impliquant des pays européens incluent cette disposition. L’accès facilité le plus souvent prévu est l’accès aux pensions (95 pour cent des accords bilatéraux et 100 pour cent des accords multilatéraux), suivi par les prestations d’accident du travail (56 pour cent des accords bilatéraux et 57 pour cent des accords multilatéraux). Des différences régionales claires apparaissent, et les accords Europe-Europe et Europe-Afrique sont plus susceptibles de couvrir les accidents du travail et les prestations de courte durée.

Les accords tendent de plus en plus à intégrer des dispositions permettant un accès facilité à des prestations dans un pays tiers. Si l’on trouve cette clause dans un tiers des accords impliquant des pays européens (36 pour cent), plus de la moitié des accords négociés ou renégociés depuis 2010 (57 pour cent) contiennent de telles dispositions.

Dans les accords bilatéraux impliquant des pays européens, les dispositions sur le détachement des travailleurs sont légèrement moins courantes que celles sur l’accès facilité aux prestations (89 pour cent des accords contre 96 pour cent). Cela dit, il existe encore une fois des différences régionales claires, avec des dispositions sur le détachement dans 99 pour cent des accords conclus avec les Amériques, 91 pour cent des accords conclus avec des pays d’Asie/Pacifique et 88 pour cent des accords conclus avec l’Afrique, alors qu’elles n’existent que dans 81 pour cent des accords Europe-Europe. De plus, les accords entre l’Europe et l’Asie/Pacifique, et entre l’Europe et les Amériques tendent à fixer des périodes d’exemption de cotisations plus longues, avec une exemption initiale qui est souvent de cinq ans ou plus. La plupart des accords Europe-Europe fixent une période d’exemption de deux ans, tandis que dans les accords Afrique-Europe, elle est de trois ans ou moins.

L’augmentation du nombre d’accords de sécurité sociale et leur exhaustivité sont significatives, car cela illustre la reconnaissance croissante des contributions et des droits des travailleurs migrants. Face à des migrations de main-d’œuvre de plus en plus importantes, les accords de sécurité sociale représentent un élément juridique fondamental pour renforcer la portabilité des droits sociaux.

Le guide intitulé Étendre la protection sociale aux travailleurs migrants, aux réfugiés et à leurs familles (BIT, AISS, CIT, 2021) a pour objectif d’aider les institutions à renforcer leur capacité à couvrir efficacement les travailleurs mobiles. Plus récemment, l’International Social Security Review a publié un numéro spécial intitulé «Ne laisser personne de côté: une couverture de sécurité sociale pour les personnes déplacées et les travailleurs migrants» (International Social Security Review, 2023).

Pour garantir que ces accords soient effectifs, ils doivent être appliqués de façon efficace grâce à la coordination de diverses organisations des pays signataires. Une part importante de la mise en application de l’accord est liée à la communication entre les différentes parties à travers leurs agences de liaison. De grands efforts ont été faits récemment pour passer des échanges sur papier à des échanges électroniques, ce qui permet à ces institutions d’échanger des informations de façon instantanée. Cela permet aussi de réduire le temps passé à saisir des données manuellement et à manipuler des documents, et de limiter les risques d’erreurs et de fraudes. Ces nouveaux échanges électroniques permettent aussi d’améliorer la sécurité et la confidentialité des données, pour que les institutions de sécurité sociale puissent fournir des services au public de manière plus rapide et plus efficace.

L’AISS cherche à soutenir les institutions membres dans leurs efforts pour gérer et mettre en œuvre un nombre croissant d’accords grâce au Groupe de travail de l’AISS sur les accords internationaux de sécurité sociale et l’échange de données. Ce groupe a pour objectif de les aider à élaborer une solution technologique standardisée commune pour l’échange de données à l’international, qui pourrait améliorer l’efficacité de la mise en œuvre des accords internationaux de sécurité sociale.

Références

AISS. 2022. Aperçu global des accords internationaux de sécurité sociale . Genève, Association internationale de la sécurité sociale.

AISS. À paraître. Base de données de l’AISS sur les accords internationaux de sécurité sociale. Genève, Association internationale de la sécurité sociale.

Benton et al. 2024. The state of global mobility in the aftermath of the COVID-19 pandemic. Genève, Organisation internationale pour les migrations.

BIT. 2010. Coordination of social security systems in the European Union: An explanatory report on EC Regulation No 883/2004 and its Implementing Regulation No 987/2009. Budapest, Équipe d'appui technique au travail décent et bureau de pays de l'OIT pour l'Europe centrale et orientale.

BIT. 2012. Social security coordination for non-EU countries in South and Eastern Europe: A legal analysis. Budapest, Équipe d'appui technique au travail décent et bureau de pays de l'OIT pour l'Europe centrale et orientale.

BIT. 2020. ILO global estimates on international migrant workers. Results and methodology. Genève, Bureau international du travail.

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