Analyse

Améliorer les systèmes d’assurance maladie, la couverture et la qualité des services

Analyse

Améliorer les systèmes d’assurance maladie, la couverture et la qualité des services

La couverture sanitaire universelle (CSU) est une priorité sanitaire mondiale et l’accès aux services de soins de santé est l’une des composantes les plus importantes de la sécurité sociale. La pandémie de COVID-19 a une fois encore mis en lumière la nécessité d’un accès universel à des soins abordables. La prestation de services de santé et leurs modes de financement ont de répercussions importantes sur les personnes qui y accèdent et bénéficient d’une couverture santé. Si les systèmes nationaux d’assurance maladie permettent un accès complet et équitable aux services de santé dans de nombreux pays, leur mise en œuvre comporte plusieurs défis.

La pandémie de COVID-19 a souligné l’importance du bon fonctionnement des systèmes de soins de santé. La santé est un élément majeur du programme relatif aux objectifs de développement durable (ODD) à l’horizon 2030 adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies en 2015 et constitue un objectif général, l’ODD 3: «Permettre à tous de vivre en bonne santé et promouvoir le bien-être de tous à tout âge». Un accès abordable, efficace et équitable à des soins de qualité est essentiel pour maintenir et améliorer la santé ainsi que pour éviter les difficultés d’ordre financier. L’accès à des soins de qualité est primordial pour empêcher les souffrances inutiles et atteindre les objectifs fondamentaux de la justice sociale. Lié à l’objectif d’égalité des chances, cet accès est crucial pour maintenir les capacités fonctionnelles des personnes et leur permettre de saisir un large éventail des possibilités offertes par la société.

L’assurance maladie est un mécanisme de prépaiement et de mise en commun des risques permettant de couvrir les frais médicaux découlant des maladies. Ces frais peuvent être liés aux coûts des hospitalisations, des médicaments ou des consultations médicales. L’assurance maladie sociale et nationale peut favoriser une accessibilité équitable aux soins de santé et protéger les personnes contre les risques financiers liés aux maladies. Il s’est avéré déterminant de maintenir ou d’étendre la couverture sanitaire universelle, d’autant plus pendant la pandémie de COVID-19. Néanmoins, des améliorations et des solutions innovantes sont nécessaires pour assurer et sécuriser l’accès à des soins de qualité pour tous.

L’Association internationale de la sécurité sociale (AISS) a donc organisé un webinaire intitulé Améliorer les systèmes d’assurance maladie, la couverture et la qualité des services. Ce webinaire a permis d’examiner les expériences des institutions membres de l’AISS en République de Corée, en Indonésie, au Rwanda et en Turquie, et de partager les défis, stratégies et approches innovantes en vue d’améliorer les systèmes d’assurance maladie, la couverture et la qualité des services. Cet article présente les principales questions soulevées lors de ce webinaire.

Terminologie de l’analyse comparative des systèmes de santé

Les systèmes de santé diffèrent à de nombreux niveaux. Même si les systèmes de santé des différents pays sont uniques et sont orientés par des évolutions historiques et des compromis politiques, la typologie communément utilisée pour regrouper les systèmes de santé en grandes catégories s’appuie sur les deux critères suivants: comment les recettes sont mises en commun et qui fournit les services de santé.

Mise en commun

La plupart des systèmes d’assurance maladie peuvent se regrouper selon deux modes de financement: certains ont un seul pool d’assurance maladie (payeur unique) tandis que d’autres utilisent plusieurs pools d’assurance maladie (payeurs multiples). Au sein de cette répartition large des systèmes à payeur unique et à payeurs multiples, il existe de nombreuses variations. Les systèmes à payeur unique offrent généralement un plus grand contrôle gouvernemental sur la prestation des soins et tendent à mettre l’accent sur l’équité. Les systèmes à payeurs multiples permettent généralement à l’usager de choisir une assurance, ce qui peut stimuler l’innovation et la concurrence.  On observe dans de nombreux pays une combinaison d’assurances à payeur unique et à payeurs multiples, qu’elle soit substitutive, additionnelle ou complémentaire.

Prestation des services

Les services de santé peuvent être répartis en deux catégories, en fonction de la prestation des services: directe ou indirecte. Dans les systèmes à prestation directe, une seule entité intégrée finance et fournit les services de santé, avec un plus grand contrôle gouvernemental sur la prestation des services. Dans les systèmes à prestation indirecte, les prestataires indépendants passent des contrats avec les acheteurs.

Principaux types de systèmes de santé

Sur la base des critères de mise en commun et de prestation des services, nous distinguons quatre types principaux de systèmes présentant des combinaisons spécifiques:

  • Assurance maladie sociale: systèmes publics à payeurs multiples avec prestation indirecte.
  • Service national de santé: systèmes centralisés à payeur unique avec prestation directe.
  • Système national d’assurance maladie: systèmes centralisés à payeur unique avec prestation généralement privée des services médicaux.
  • Régimes d’assurance privée: certains pays ont des systèmes privés à payeurs multiples avec prestation indirecte.

Certaines de ces variations sont illustrées dans le tableau ci-dessous, avec des exemples de pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Tableau 1. Fourniture d’une couverture primaire de base (pour l’adulte salarié «type»)
Principale source de la couverture de base des soins de santé   Liste des pays
Système de santé financé par l’impôt Système national de santé Australie, Canada, Danemark, Espagne, Finlande, Irlande, Islande, Italie, Norvège, Nouvelle-Zélande, Portugal, Royaume-Uni, Suède
Système d’assurance maladie Payeur unique Rép. de Corée, Grèce, Hongrie, Luxembourg, Pologne, Slovénie, Turquie
Assureurs multiples, avec affiliation automatique Autriche, Belgique, France, Japon
Assureurs multiples, avec choix de l’assureur Allemagne, Chili, États-Unis, Israël, Mexique, Pays-Bas, Slovaquie, Suisse, Tchéquie
Source: OCDE, 2014

Les paragraphes suivants donnent un bref aperçu des systèmes d’assurance maladie, des principaux défis et des principales questions soulevées lors du webinaire de l’AISS sur les systèmes d’assurance maladie.

Expériences des pays

Indonésie

En 2014, le gouvernement indonésien a déployé le plus grand programme d’assurance maladie à payeur unique au monde, le Jaminan Kesehatan Nasional (JKN), afin d’atteindre une couverture santé universelle remplaçant tous les régimes d’assurance maladie sociale fragmentés précédents. L’assurance maladie nationale (NHI) couvre les coûts de traitements pour la plupart des consultations ambulatoires et des hospitalisations dans les établissements publics et privés enregistrés. Elle couvre 84 pour cent de la population remplissant les conditions d’ouverture des droits, et l’objectif est d’étendre la couverture de santé aux travailleurs de l’économie informelle pour atteindre les 98 pour cent d’ici 2024. Les investissements dans la numérisation et les technologies de l’information et de la communication (TIC) soutiennent la réalisation de cet objectif, en tenant compte de la géographie du pays, composé de centaines d’îles.

Turquie

L’assurance maladie, introduite en Turquie en 1945, couvrait en premier lieu les ouvriers. En 2003, le Programme de transformation de la santé (HTP) a été mis en œuvre afin d’améliorer la santé publique, de fournir une assurance maladie à tous les citoyens, d’élargir l’accès aux soins et de développer un système axé sur le patient pour s’attaquer aux inégalités en matière de santé et améliorer les résultats – notamment pour les femmes et les enfants. Le système d’assurance maladie de la Turquie est administré par l’Institution de sécurité sociale (Sosyal Güvenlik Kurumu − SGK), établie en 2006 comme payeur unique. Responsable des achats auprès des fournisseurs, elle est chargée d’améliorer la qualité et l’efficacité des services afin de fournir des prestations complètes, justes et équitables en matière de soins de santé à l’ensemble de la population.

République de Corée

En 1977, la République de Corée a mis en œuvre un régime d’assurance maladie obligatoire. Facilitée par une forte volonté politique, la couverture sanitaire universelle a été réalisée en douze ans. Fondée sur la solidarité sociale, elle offre des prestations d’assurance égales à tous les citoyens. Le Service national d’assurance maladie (National Health Insurance Service – NHIS) couvre presque toute la population, à commencer par l’inscription obligatoire des travailleurs dans les grandes entreprises et incluant l’économie informelle.

Rwanda

Le Rwanda a atteint le taux de couverture santé les plus élevé en Afrique subsaharienne dans le cadre de programmes coordonnés d’assurance mutualiste. Après le génocide de 1994, le niveau des services de santé primaire a considérablement diminué et les indicateurs de santé se sont considérablement détériorés. Depuis 2000, le Rwanda a développé la stratégie à long terme «Vision 2020» afin de fournir des ressources financières suffisantes pour assurer un accès universel à des soins de santé de qualité pour tous les citoyens. Pour atteindre cet objectif, le Rwanda a mis en place une assurance maladie communautaire (CBHI) qui contribue à couvrir la population rurale et l’économie informelle. En 2019, le Rwanda a remporté le Prix de l’AISS pour une contribution exceptionnelle à la sécurité sociale.

Défis

Tous les pays sont indéniablement confrontés à des défis majeurs dans le maintien d’un système de soins de santé durable. Selon les pays, ces défis comprennent des questions telles que l’impact du vieillissement de la population, la charge croissante des maladies chroniques, le développement des infrastructures de santé et, de manière générale, le financement des services de soins de santé.

En Indonésie, atteindre le «milieu manquant» et l’économie informelle représente un défi supplémentaire. L’amélioration de la qualité des services est également problématique, en partie en raison de la croissance rapide de la population couverte par le NHIS.

En Turquie, l’assurance maladie universelle a considérablement réduit les dépenses de santé exorbitantes à la charge des patients. L’application des législations et la gestion des attentes des prestataires de soins de santé en matière de paiement demeurent un défi.

En République de Corée, malgré le développement rapide des soins de santé au cours des trente dernières années grâce au système de la NHI, un taux de copaiement de plus de 30 pour cent limite encore la protection financière. Il s’agit là d’un défi majeur qui s’ajoute à celui d’améliorer le système de prestation des soins de santé.

Au Rwanda, le déficit financier de la CBHI ne cesse d’augmenter, ce qui met l’accent sur la nécessité d’assurer la viabilité financière du système de soins de santé. La pénurie de professionnels de santé soulève également des préoccupations quant à la façon d’assurer un accès efficace à des services de soins de santé de qualité en temps utile.

Stratégies et solutions envisageables

Amélioration de la qualité des services

En Indonésie, l’amélioration des services de soins de santé se manifeste par l’augmentation du nombre de visites dans les établissements de santé, qui a presque triplé en seulement cinq ans. L’Institution de sécurité sociale pour le secteur de la santé (BPJS Kesehatan) renforce l’efficience et l’efficacité de la fourniture des services, par exemple en ayant établi la capitation fondée sur la performance, qui relie rémunération et performance dans les établissements de soins primaires. Des programmes de prise en charge et des programmes spécifiques d’orientation destinés aux patients atteints de maladies chroniques sont élaborés afin d’accroître l’efficacité des services de santé.

En République de Corée, le NHIS dispose d’un pouvoir monopsone dans les négociations avec les prestataires de services médicaux. Ceci permet d’améliorer l’accès aux services de santé et le contrôle des frais médicaux, même dans un environnement où 94,5 pour cent des prestataires de services médicaux font partie du secteur privé. Les dépenses de soins de santé du pays représentent 8 pour cent du PIB (2019). Bien que ces dépenses soient inférieures à la moyenne observée dans les pays de l'OCDE (8,8 pour cent), la République de Corée offre un niveau élevé de soins de santé de qualité et d’accessibilité. Le pays s’appuie sur une organisation indépendante, le Health Insurance Review & Assessment Service (HIRA) pour l’examen des remboursements et des demandes. Des efforts sont faits pour réduire le niveau des dépenses à la charge du patient à moins de 30 pour cent et pour protéger les groupes à faible revenu grâce à un système de plafonnement des dépenses à la charge du patient.

Innovation technologique et santé numérique

Les services d’e-santé ou santé numérique ont été de plus en plus utilisés pendant la crise de COVID-19, accélérant ainsi le processus de numérisation dans de nombreux pays. La pandémie a poussé les institutions de sécurité sociale à transformer leur fourniture de services de soins de santé extrêmement rapidement et à s’adapter à de nouvelles formes de prestation de soins comme la télémédecine (à lire également notre analyse Télémédecine: bonnes pratiques de l’Amérique latine).

Outre le fait de simplifier les procédures administratives (ordonnances électroniques), l’e-santé peut permettre d’améliorer les soins de santé. Elle peut conduire à des soins plus systématiques et de qualité en permettant l’utilisation des informations médicales pour soutenir la prise de décision. Grâce au suivi des patients en temps réel ou aux applications mobiles mHealth, des soins plus proactifs et plus ciblés peuvent être délivrés, ce qui peut contribuer à réduire les coûts et améliorer les résultats. Elle facilite également l’implication et l’autogestion des patients en leur fournissant de meilleures informations en temps réel sur leur état de santé.

L’analyse de l’AISS a également montré que la télémédecine, une discipline s’appuyant sur l’utilisation des TIC pour fournir des services médicaux à distance, ne remplace pas les soins en présentiel. Les deux approches doivent être abordées de manière complémentaire et coordonnée, et mises en œuvre au bénéfice du patient.

En 2020, la BPJS Kesehatan a introduit en Indonésie des services de télémédecine grâce à des applications mobiles et des services de messagerie, afin de réduire les soins en présentiel dans le contexte de la pandémie de COVID-19. Pour vérifier l’admissibilité des affiliés, la BPJS Keseharan développe des technologies basées sur l’intelligence artificielle et la reconnaissance faciale. (À lire également notre analyse sur l’intelligence artificielle dans le domaine de la sécurité sociale.)

Comme nous l’avons vu lors du Symposium virtuel de l’AISS sur les technologies de l’information et de la communication, il est nécessaire d’améliorer la disponibilité, l’intégration et l’utilisation des données liées à la santé. Les données sont importantes pour la recherche et la prestation des soins de santé. En outre, elles peuvent permettre un meilleur suivi du système en fournissant aux autorités de santé publique des informations clés sur la performance. Toutefois, cela souligne également l’importance de la gouvernance et de la confidentialité des données.

En Turquie, un système intégré en ligne (Medula) entre l’institution de sécurité sociale et les prestataires de soins de santé sous contrat s’est avéré essentiel pour garantir et améliorer la qualité des services; il permet également le stockage des données pour le suivi et la projection des dépenses de santé.  

En République de Corée, la gouvernance des données et l’utilisation des TIC sont primordiales pour le système de santé. Le système de gestion de l’information fondé sur les TIC, mis en place au sein du NHIS, est interconnecté avec 42 organisations publiques. Il fournit des informations personnalisées en matière de santé, incluant des informations sur les conditions d’ouverture des droits, les cotisations, les dossiers médicaux et les traitements de chaque citoyen, ainsi que des informations sur les prestataires de soins de santé. Ces données sont utilisées dans le développement de services de santé personnalisés, à l’appui de la recherche et des politiques, et sont partagées avec d’autres institutions.

Conclusions

Des mécanismes de financement et des infrastructures de services de santé adéquats et appropriés sont essentiels pour accomplir des progrès en matière de couverture sanitaire universelle à l’échelle mondiale.

Les systèmes d’assurance maladie sociale et nationale, qu’ils soient à payeurs multiples ou à payeur unique, jouent un rôle clé dans l’amélioration de la qualité des soins de santé et la garantie de l’égalité de l’accès des citoyens à ces services. Toutefois, leur mise en œuvre comporte plusieurs défis et nécessite des adaptations continues à un contexte en évolution rapide.

Atteindre tous les groupes de population à travers les mécanismes d’assurance, faire face au vieillissement de la population, répondre à la demande accrue en soins médicaux et obtenir des ressources financières durables sont les principaux défis communs. L’envergure des différents défis et les solutions envisageables varient selon les pays.

Dans tous les pays cependant, les besoins des populations doivent être le principal critère orientant la conception de systèmes de santé appropriés.

Références et lectures complémentaires

AISS. 2019. Dix défis mondiaux pour la sécurité sociale: développements et innovation. Genève, Association internationale de la sécurité sociale.

AISS. 2020. L’intelligence artificielle dans le domaine de la sécurité sociale: histoire et expériences (Analyses et nouvelles). Genève, Association internationale de la sécurité sociale..

AISS. 2021a. Y a-t-il un médecin? Relever le défi des déserts médicaux (Analyses et nouvelles). Genève, Association internationale de la sécurité sociale.

AISS. 2021b. La télémédecine: bonnes pratiques de l’Amérique latine (Analyses et nouvelles). Genève, Association internationale de la sécurité sociale.

Atun, R. 2015. «Transforming Turkey’s health system – Lessons for universal coverage», dans The New England Journal of Medecine, vol. 373, no 14.

Chisholm, D.; Evans, D. B. 2010. Improving health system efficiency as a means of moving towards universal coverage (World Health Report background paper). Genève, Organisation mondiale de la santé.

Nyandekwe, M.; Nzayirambaho, M.; Kakoma, J.-B. 2020. «Universal health insurance in Rwanda: Major challenges and solutions for financial sustainability – Case study of Rwanda community-based health insurance, part I», dans The Pan African Medical Journal, vol. 37, no 55.

OCDE. 2014. Health systems characteristics survey 2012: Published results and secretariat’s estimates – Information as of April 2014. Paris, Organisation de coopération et de développement économique.

Ozdamar, O.; Giovanis, E. 2018. Healthcare reform in Turkey: Achievements and challenges. Gizeh, The Economic Research Forum Policy Portal.

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